Résistance – Martine Brûlé

Vingt-et-une heures, hier soir à la Gare St Lazare. Mon TGV est arrivé avec un peu trop de retard pour que je puisse sauter dans ma correspondance. J’ai deux heures à perdre avant de pouvoir achever mon périple.

Alors je m’assieds docilement sur les chaises mises à dispositions en extrayant de mon sac à dos un stylo et un bloc de papier.

Les assises rouges, clouées au sol, sont disposées en un large carré. Je suis la seule femme présente dans cet étrange cercle. Mes six nouveaux compagnons jouent de leurs portables.

Que puis-je faire ? Tenter une phrase, oser une conversation ou même une simple onomatopée … et passer ainsi pour une illuminée que je ne suis pas ?

Inutile même d’essayer de quémander ne serait-ce qu’un regard, un échange de sourire avec mon petit groupe bien trop connecté à un ailleurs, à cette nouvelle virtualité… Trop bien ardu aussi d’oser les détacher de leurs amis Facebook qu’ils ne verront sans doute jamais mais qui ont le mérite de «liker» leurs “posts”…

A ma droite, une autre troupe similaire de connectés pianotent sur des portables disposés sur longue table agrémentée de hautes chaises. Dans cette troupe existe cependant une plus proche proximité des corps mais cette dernière ne semble troubler personne dans son individualité.

Derrière moi deux jeunes femmes pédalent sur des faux vélos reliés à une borne wifi et là je suis bien obligée de saluer, au passage, cette incroyable capacité, très féminine, qui nous octroie le privilège de faire deux choses à la fois. En l’occurrence, se connecter, oui mais sans omettre de garder la cuisse ferme. Tout de même ….

Sur le mur du fond des panneaux lumineux affichent deux publicités qui n’en finissent pas de se suivre. « 1664, une marque, une empreinte », chapeau bas aux publicistes qui de quatre chiffres et quatre mots réussissent à définir une boisson qui n’échappe plus à personne.

La seconde publicité vante la sortie du livre «After» avec pour slogan «After, histoire d’amitié, de trahison, de sexe, d’amour». Et là encore bravo !… J’avoue, pour avoir été un peu dans le métier, que moi, jamais non je n’aurais pensé associer aussi limpidement l’amitié avec la trahison ni confondre le sexe avec l’amour. Mais bon, ces gens là savent ce qu’ils font et moi je n’ai jamais lu «After». Alors, je me tais.

Et, oui, et si jamais, moi-aussi, dans une autre vie, je tapotais ces quelques mots sur un beau portable agrémenté d’une pomme, en dégustant un gros Big se reconnaissant aisément à son m joliment stylisé, chaussée d’une paire de baskets ornées d’une simple virgule …Si jamais … Nul n’est à l’abri.

En attendant, durant ces deux petites heures, pour la première fois de ma vie, ignorant les regards qui malgré tout se posaient sur moi, j’ai eu le sentiment de faire un acte de résistance.

Et c’était délicieux.

 

Martine

 

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Martine Brûlé

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Je m'appelle donc Martine ... et je suis née le l8/10/1966 à Rouen. De formation initiale en communication j'ai longtemps travaillé pour les municipalités d'Yvetot et d'Elbeuf.
Je suis actuellement chargée de documentation à la Fabrique des Savoirs, pour le compte de la métropole de Rouen. Je participe depuis une petite année à un atelier d'écriture.
J'ai toujours aimé lire et j'écris depuis ... que j'ai appris à le faire, sauf qu'aujourd'hui j'ose enfin partager un peu.
http://martine-brule.blog4ever.com

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2 Commentaires
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Aure
Membre
4 mai 2016 21 h 25 min

Un stylo et un bloc de papier
c’est de la résistance en effet
:)

Plume de Poète
Administrateur
3 mai 2016 11 h 50 min

Merci Martine pour cette nouvelle résistante ! . . .
N’oubliez pas d’ajouter votre prénom et nom à la suite du titre de votre texte lors de sa saisie sur le site afin que les lecteurs puissent mieux vous apprécier en particulier depuis les réseaux communautaires où votre nom n’apparaît pas . . .
Merci et bonne continuation !
Amitiés,
Alain