… Je l’observais, disais-je, et l’observais encore, là, comme si je regardais les branches d’un arbre que seul un vent agitait et les nervures de feuilles de branches qui le paraient.
Je regardais et cherchais un signe. Deux signes. Trois signes. Des signes de vie. Un, deux, trois… Ses yeux, je les voyais bouger. Un peu. Juste un peu. Quand je l’appelais, mais aussi quand je ne le l’appelais pas. Quand je disais : “Maman”. “Je suis là… C’est moi… Ta fille. Lucienne.” Et après chaque mot ou chaque groupe de mots, mon cœur devenait gros. J’avais le cœur gros. Un gros cœur, comme dirait ma grand-mère. Et j’essayais de respirer, profondément, pour me contenir et ne pas éclater en sanglots. Car Maman, si elle entendait, si elle m’entendait, allait savoir que je pleurais… Et elle allait peut-être pleurer aussi. Elle allait pleurer dans son cœur… car les mamans pleurent aussi.
Les mamans pleurent aussi dans leur cœur. Cela arrive qu’elles aient le cœur gros. Un gros cœur. Elles n’aiment pas savoir que leurs enfants pleurent. Pleurent seuls. Et tant de fois, bien des fois si souvent, en secret, j’avais pleuré. Et je ne lui avais rien dit. J’avais gardé mon secret. J’avais gardé le silence. Je ne voulais pas lui dire, car elle aurait pleuré, peut-être. Et je ne voulais pas qu’elle pleure… J’étais trop loin. Et je n’allais pas la voir pleurer et pouvoir la prendre dans mes bras pour la consoler. Mais, elle l’avait peut-être su… car les mamans savent. Les mamans sentent…
Les mamans ressentent…
Les mamans présentent les choses…
“Je suis la Maman…. Je… suis venue… je suis venue te voir…”. “Réponds-moi… Maman…” “Tu es une battante…”, “et tu gagnes…” et ma voix sombrait… Ma voix s’évanouissait… submergée par les larmes que je n’avais plus pu contenir. Je chancelais, debout là, plantée là dans ce lieu si étroit et si étrange et si froid, le cœur en émoi. Puis la douleur devenue insupportable, je partais… puis revenais sur mes pas… puis repartais et parfois m’arrêtais un peu, là, dans une salle d’attente, cet autre endroit, de misères… et observais, lisais la tristesse sur des visages, m’entretenais avec d’autres personnes qui nourrissaient aussi l’espoir de voir un des leurs sortir de leur état comateux suite à un AVC…ou quelqu’autre tragique incident… Certains s’en sont sortaient, d’autres partaient, ou attendaient de partir. C’était bien émouvant tout ça…
Là, près de ce lit, j’avais envie de lui dire. Je voulais tout lui dire. Même si elle savait… je me dis…J’avais envie de lui dire que j’avais eu un gros chagrin. Un chagrin d’amour. Et elle aurait compris, si bien entendu elle m’entendait. Elle aurait parfaitement compris car des chagrins, elle en avait aussi connus, elle, des chagrins, de gros chagrins d’amour. J’en suis sure… Et elle savait ce que voulait dire, éprouver de la solitude… et ce sentiment d’abandon…. Et de n’avoir, pendant longtemps goût à rien… De ne plus rien comprendre et de se sentir incompris soi-même… Et ses arbres à elle, les arbres de sa campagne lui avaient certainement beaucoup aussi manqué. Surtout sa mère, même si elle avait été sévère… avec elle, quand elle était enfant… Et même quand elle eut grandi… Oui, je voulais lui dire qu’elle aussi, beaucoup de fois et jusque-là, m’avait tant manqué. Que j’avais souvent dit son nom. Maman. Maman… Et que j’avais souvent eu envie d’appeler son nom…. Que parfois au milieu de la nuit… mes sombres nuits éclairées sans lumière, quand le sommeil m’avait perdue, et que l’insomnie de la nuit m’avait trouvée et venait me tenir compagnie, je repensais à elle… Je l’imaginais me disant de tenir bon, en créole : “Tiembé… hiche mwen. Tiembé… “.
Je voulais lui dire tant de choses.
Je voulais lui dire que j’avais eu froid le jour et très froid la nuit et que je me blottissais dans mon lit, serrant… étreignant si fort mon oreiller, mes oreillers et laissant la grosse couette de plumes de canard m’envelopper. Ou c’est moi plutôt qui l’enveloppais pour avoir chaud.
Je voulais lui dire que j’avais eu peur parfois dans la nuit… et que j’avais aussi eu peur d’avoir peur…
@Lucienne Maville-Anku, 20/05/21
Extrait de « Quand j’étais enfant » et « Hommage à ma mère », 2011, 2012
Quel hommage à votre maman Lucienne et nos nôtres tout en même temps
Nos ” maman” sont le souvenir qui nous rassure le mieux. Elles partent malheureusement trop vite ou c’est nous qui grandissons trop rapidement ?
Chère Lucienne merci pour ce si bel hommage .Il y a toujours beaucoup d’émotions lorsque on évoque sa maman car elle sera toujours unique et on pourrait parler d’elle des heures durant avec des étoiles dans les yeux.
Merci et bonne journée à vous.
Mohamadine