Dans le brasier de bronze et d’acier – Christian Satgé

 

Cycle Historique
À G. Apollinaire (1880-1918)

 

Dehors, les barbelés, la terre qui gît, grise…
Les chevaux de frise s’enchevêtrent à la brise…
Me voilà retranché dans un abri de craie,
Ombre violette dans l’ombre violente
Que force comètes versicolores créent…
Mon rat sur le recul flaire l’eau pestilente,
Froissant le silence, dans la cagnat obscure.
Oh ! les gaz asphyxiants, ce bougre n’en a cure !

À la lisière du ciel qui encre nos scalpels,
Un avion bourdonne. L’augure est sans appel :
Il va falloir marcher, tomber, ramper, survivre
Au fleuve d’étoiles sifflantes, aux bruits stridents,
Qui charrie des fleurs de feu blanc, de fer ardent…
C’est un Enfer qu’on ne trouve dans aucun livre !

Dans la boue du boyau qui gronde, trouille au ventre,
Je fixe le feu du ciel qui pleut sur notre antre…
Un chœur de canons entonne son chant sacré ;
Son tonnerre tremble en terre et tout supplante.
Seules les écailles du cœur, ici, sont au secret
Et, dans la crasse, croupit la puce ou la lente…
J’en viens à espérer que, vite, la Camarde
M’offre l’accolade. Pourquoi elle musarde ?…

J’ai, sur moi, ta photo… J’ai perdu quelques dents :
Croquer des grenades, ce n’est pas très prudent !
On sort… Un obus qui miaule et meurt… Un cratère…
La terre anthropophage, ici, a faim de chair,
Soif de sang. Nos tombes ne coûteront pas cher !
Les nues crépitent des étincelles. On s’enterre…

Une balle feule et s’écrase triomphante…
On tait, en nous, tous ces cris que la nuit enfante.
L’éclat de vivre éclôt dans le rire insouciant
D’un hussard de hasard, au feu coprophage…
Le soir s’étoile de brefs brandons impatients.
Le feu du bivouac est notre seul chauffage…
Regard éteint, poumons en flamme, pas de leurre :
Demain recommencera hier, à chaque heure !

*

© Christian Satgé – mars 2012

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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13 Commentaires
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Anne Cailloux
Membre
17 juin 2018 17 h 20 min

Vos mots sont extrêmement parlant, de ceux ou les images remplaces les phrases.
vous rendez possibles des récits horrifiant en y ajoutant de la poésie
belle hommage a ces hommes hier, d’aujourd’hui ou de demain
qui se battent en offrant leurs vies pour des causes
qui……Merci pour eux..
Anne.

Laurence de Koninck
Membre
16 juin 2018 12 h 45 min

Il faut être poète comme vous pour mettre de la beauté là où il n’y a qu’horreurs. Chapeau bas…

Eric de La Brume
Membre
15 juin 2018 20 h 56 min

Très belle description imagée des horreurs de la guerre. Arriverons-nous un jour à remplacer les mots honneur et patrie par œcuménisme, partage et amour.

Invité
15 juin 2018 20 h 17 min

Bravo Christian et merci de rendre hommage aux soldats qui se sacrifient pour une patrie chère . Et ça leurs perdent parfois et souvent leurs chairs . Les guerres sont horribles que l’humanité a connu, ça nous rend nous malades . Et c’est fort touchant de se mettre à la place des victimes par la plume mes félicitations.
Agréable soirée
Mes amitiés
Fattoum.

Marie Combernoux
Membre
15 juin 2018 9 h 00 min

Bravo Christian pour ce très beau poème en hommage aux hommes qui servaient de chair à canon, tu as très bien fait ressentir l’ambiance morbide qui devait régner dans ces tranchées de la mort. A moi, il me rappelle le roman ‘A l’ouest rien de nouveau” d’E.M REMARQUE, où les soldats allemands subissait le même sort que les nôtres. “Quelle connerie la guerre” (Prévert)
Amitiés
MARIE COMBERNOUX

Laurent Vasicek
Membre
15 juin 2018 6 h 03 min

Merci Christian, ça m’a fait penser à “Orage d’acier” de cet écrivain allemand dont je ne me souviens plus du nom (très connu pourtant) … Pour Guillaume Appolinaire, je connais quasiment par coeur “le pont mirabeau”. Pauvre homme parce que trop marqué par cette sale guerre mais très très grand poète. Merci encore, c’est un beau texte