Comme les doigts de la main – Naëlle Markham

Il était une fois cinq frères qui vivaient tous ensemble. Ils avaient un seul point en commun : ils étaient tous chauves. Excepté cela, ils étaient très différents, mais en général ils s’entendaient assez bien, sauf sur un seul sujet.

Et là, impossible de les mettre d’accord. Depuis des années, des discussions sans fin et des chamailleries les opposaient, et aucun d’eux ne savait même plus qui avait commencé, mais le fait est que cela ne s’était jamais calmé.

Et pourquoi se disputaient-ils ? Pour savoir qui allait ranger la chambre ? Non, non, pas du tout. Pour savoir qui devait aller faire les courses ? Encore moins. Alors quel était ce grand problème qui n’arrêtait pas de les énerver, de les mettre les uns contre les autres?

Eh bien voilà, depuis tout ce temps, la grande question était de savoir qui des cinq était le chef. Et chacun d’entre eux était convaincu que lui seul avait les qualités pour être ce chef. Au fait, pourquoi aurait-il fallu un boss? ça c’était une autre question et visiblement personne n’avait envie d’y répondre. Toujours est-il qu’un beau matin, le sempiternel débat recommença :

— C’est obligé que ce soit moi le chef, je suis l’index, je connais tout, je montre tout, je nomme tout, je désigne tout et vous n’êtes que de parfaits incultes, donc c’est moi le chef, c’est ainsi et pas autrement. Il n’y a que moi, l’index, pour garantir votre culture et votre information. Sans moi, vous ne sauriez même pas que le soleil est une étoile.

— Toi, le boss? fais-moi rire. Tu ne reconnaitrais pas ta figure si tu la croisais. Non seulement c’est très mal vu ta manie de te pointer vers les gens et les choses mais en plus tu es toujours fourré dans un nez, une oreille ou autre chose, c’est indigne d’un chef. Non, le véritable capitaine, ce ne peut être que moi, je suis le plus grand, le majeur, je vous domine tous de mon élégance et d’une bonne longueur de phalange et vous devez respect à celui qui a la tête plus près du ciel que vous tous.

— Arrêtez tous les deux, de toute façon vous avez tort. Moi le pouce, je suis peut-être plus court sur patte, mais je suis le plus costaud et sans moi vous ne pourriez rien attraper. C’est moi et moi seul qui annonce quand tout va bien ou mal et aucun autre n’en est capable. J’ai une place indispensable et personne ne peut me la prendre, donc comme qui dirait, vous n’avez pas le choix, le chef, cela a toujours été moi.

— Le gnome a parlé, mais comme d’habitude il ne sait pas ce qu’il dit. Je t’en prie un peu de respect, qu’est-ce que la force sans l’opulence ? Et je te le dis, moi, l’annulaire, je vous renvoie tous dans vos filets, vous n’êtes rien sans moi, sans cette richesse qui me pare en bagues et alliances. Uniquement moi suis le dépositaire des promesses et je témoigne des engagements pris, les regards sont toujours tous braqués sur moi, et personne ne porte la moindre attention à vos tristes existences. Le boss c’est moi, et il n’y a pas à tergiverser.

— Et la richesse sans le pouvoir, qu’est-ce que cela vaut ? Rien du tout, moi, auriculaire de mon état, je ne désigne pas bêtement les choses, je les SAIS, sans qu’on me les dise, je suis peut-être le plus petit mais il n’empêche que je suis aussi beaucoup plus malin que vous tous réunis. Je me faufile partout, j’ai une oreille dans chaque maison, les secrets n’ont aucune chance avec moi. Et comme j’ai des dossiers sur tout le monde, personne ne pourra m’empêcher de m’autoproclamer chef.

Et la bagarre continuait, jour après jour. Ce que vous ne savez pas, c’est que la maison de ces cinq frères se trouvait sur un bras et que ce bras commençait à en avoir assez de ces agités qui n’arrivaient pas à se mettre d’accord et qui lui compliquaient la vie parce que chacun n’en faisait qu’à sa tête.

Alors un jour, le bras en a eu assez, il a attrapé les cinq frères et les a fourrés tous ensemble dans un sac tout noir, tout sombre et étroit, où il n’y avait pas assez de place pour eux, ne serait-ce que pour faire le moindre petit mouvement.

Le majeur devait plier sa dernière phalange et il n’était plus aussi grand, l’index se sentait inutile parce qu’il ne pouvait plus rien montrer, pas même aller gratter un nez, c’est dire ! le pouce, malgré toute sa force, coincé contre les autres, n’arrivait plus à bouger et devait rester sans rien faire, l’annulaire ne pouvait plus se pavaner pour montrer ses bijoux puisqu’ils étaient enfermés avec lui dans cette prison, et l’auriculaire avait beau faire, impossible de deviner quoi que ce soit dans ce trou noir, toutes ses antennes étaient hors service.

Ce fut une période assez triste pour les frères et heureusement d’ailleurs.

A force de se sentir bridés, enfermés, bloqués, ils ont commencé à réfléchir chacun de leur côté à une solution pour sortir de ce piège infernal. Ils n’arrivaient plus à se disputer le titre de chef. Qu’est-ce que cela aurait bien pu changer dans leur situation ? Ils voulaient juste sortir de là et retrouver la lumière du soleil.

Et un beau jour, eurêka, ils ont trouvé, on ne sait pas au juste d’où est venue l’idée, mais ce qui compte c’est qu’ils l’ont eue. Ils se sont dit : « et si on collaborait, si on s’unissait au lieu de toujours se battre ? Imaginez tout ce qu’on pourrait faire ensemble, la force, le savoir, la grandeur, la richesse et la sagesse, on serait tous des chefs !! » « Oui, oui, oui !! ». Tous les frères criaient et riaient, « Absolument, on va faire comme ça. Appelle ce bras de malheur qu’il nous fasse sortir de là et promis, on va se tenir à carreau, plus de disputes, plus de bagarres ».

Aussitôt dit, aussitôt fait. Le bras écouta attentivement les promesses des frères et, finalement convaincu, les libéra.

Les frères tinrent leur promesse et peu à peu firent des progrès dans leur collaboration : ils devinrent ensemble une main, découvrirent par exemple comment faire tous ensemble une caresse, tenir un crayon pour écrire une histoire ou former un poing pour se défendre, créer de superbes ombres chinoises, et tant d’autres choses que je n’ai pas la place ici pour les raconter.

Et c’est à tel point qu’aujourd’hui, quand on veut dire que des personnes sont très proches, très unies, on dit qu’elles sont …. comme les doigts de la main. Maintenant que vous connaissez l’histoire, vous savez que cela n’a pas été facile, mais vous avez compris combien les êtres sont plus forts quand ils sont unis que quand ils sont divisés.

Tous droits réservés©Naëlle Markham

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1 Commentaire
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Plume de Poète
Administrateur
21 février 2021 9 h 15 min

Très original et belle morale !
Merci Naëlle pour ce moment agréable telle une fable.