Mon année Krzyzaniak – Terminale A – Tome XIII – Jean-Marie Audrain

XIII – Mon année Krzyzaniak -Terminale A

J’ai encore dans la tête comme la photo de notre classe de terminale à l’Institution Sainte- Marie-La-Croix d’Antony. 26 visages, mais aussi 26 voix et chacune et chacun à sa place attitrée.

Aimant boire les paroles de mes bien aimés enseignants, je me plaçais définitivement au premier rang presque en face du bureau. En face du bureau et à ma droite, c’était la place d’Eric Guesnon et à ma gauche celle de François Cassingéna. Dans la marge de ses cahiers, Eric dessinait des croix gammées et François y inscrivait des citations grecques ou latines dans la langue d’origine. Je me sentais un peu entre le diable et la bon Dieu. Lors des contrôles Eric était bien placé (caché par le bureau du prof juste au dessus de lui) pour copier tous les mots de mes rédactions. Par contre, à ma gauche François installait un grand classeur pour que je ne puisse pas copier sur lui.

En me retournant par la gauche, mon regard rencontrait la svelte silhouette de la brune Catherine Ruisseau. On se parlait à tous les intercours. Elle était folle de Roger Daltrey, alors je lui parlais régulièrement des Who et, parfois, on chantonnait ensemble des extrait du double album Quadrophenia qu’ils venaient de sortir. On essayait même de traduire les mots peu courants comme zoot suit. L’autre fans des Who était Marc Morvan et lui aussi parlait de Roger Daltrey à Catherine, à la différence près qu’il poursuivait la conservation au café du coin en sa compagnie après les cours. Je me demandais bien quels scoops de la vie des rockers londoniens il pouvait bien lui révéler pour mériter une telle fidélité. Il était certes grand et d’une belle allure plastique avec quasiment la même boule de cheveux blond et les mêmes yeux gris-bleus que Roger Daltrey, mais lui ne lui chantait jamais Behind blue eyes…

Par ailleurs Marc était un copain d’un excellent conseil musical et il m’avait présenté tous les vinyles de Genesis, puis Yes (surtout les albums en concert Genesis Live et Yessongs). Ce fut une année baignant en plein rock progressif international, avec en France Ange et Taïphong, le groupe qui a révélé Jean-Jacques Goldman.

Au niveau de l’occupation du terrain, ces demoiselles étaient en situation dominante, en terme de prise de paroles, surtout avec Sophie Brante notre déléguée de classe qui avait toujours quelque chose à déclarer. Même pendant les cours elle se livrait à un incessant commérage avec sa jolie voisine Agnès Briquet. C’est peut-être par effet de contraste que j’aimais beaucoup la petite Dominique Guilloteau. Sage, studieuse et silencieuse comme une image. Tout l’année nos regards se mettaient à pétiller quand ils se croisaient, mais je n’ai jamais cherché à lui adresser la parole tant je la vénérais comme un icône. Et puis elle était loin de moi en classe, tandis que Catherine Ruisseau…

Au fond de la classe il y avait un autre silencieux : Yvan Eudes. Il était arrivé avec la réputation d’un élève très sérieux, voire grave, qui était insatisfait s’il n’avait pas 20 partout. Comme François Cassingéna, il aimait parler et écrire en latin et en grec. On l’appelait parfois le séminariste Il en avait les airs et les manières.

Pour ne pas vous dresser le portraits de tous mes copains de classe, je vais juste vous dire deux mots de celui dont l’amitié s’est allumée tout de suite pour durer jusqu’à aujourd’hui. Son nom, je l’ai tout d’abord enregistré dans mes oreilles telles une litanie qu’il déclamait quand on lui demandait d’épeler son non : KaHairZedYgrecZaidaHainiaKa. C’était un « polonais d’origine » dont la famille avait transité par Valencienne. Il ne cachait pas que, vu son prénom, on devait l’appeler “l’archange“. Je préfère cependant vous parler de lui comme de Michel Krzyzaniak. Il avait deux tasses de thé : la bière rousse et Juju (c’est ainsi qu’il appelait Julien Clerc). Pas de chopes ni de bock en classe, mais par contre, depuis son fief du dernier rang, il chantonnait tout le répertoire de Juju en tapant sur le bois de sa chaise.

Pour la catéchèse, nous allions dans une autre salle de classe pour entendre les diatribes de sœur Marie-Thérèse Gaudot-Paquet. Exceptionnellement, je m’asseyais au fond de la classe à côté de Michel afin que l’on soit deux à tambouriner discrètement sur sa chaise tout en chantonnant tout l’album 7 de Juju. De l’autre mains, je lisais les poèmes saturniens de Verlaine. Je n’oublierais jamais le jour ou sœur Gaudot-Paquet m’a crié : « Audrain, apportez-moi cela tout de suite » ; Je me levais pour m’apprêter à lui apporter la chaise qui me servait de bongo lorsqu’elle vient vers moi d’un pas énergique en m’arrachant le recueil poétique des mains. « Je vous le rendais à la fin de l’année » me dit elle en visant ma mine déconfite. Michel et moi n’avions fini de chanter la face B du disque (surtout This melody), donc cette confiscation ne fut pas si grave que cela.

Ce qui tombait bien c’était que notre prof d’anglais, madame Lafay, aimait qu’on la questionne, alors Catherine Ruisseau et moi lui demandions de nous traduire les passages mystérieux des chansons des Who. Je me souviens de son étonnement quand on lui a demandé de nous traduire Zoot suit…On était bien loin des histoires de Betty and John Wilson.

Je vous avais dit qu’en troisième j’avais développé la passion de l’électronique et que cela avait remonté ma moyenne de maths. J’ai mis tout cela en application dans toutes les classes du lycée avec notre jeune prof, madame Panhard, en installant un signal d’alarme par rupture de fil sur la porte de la classe, un autre à déclenchement par cellule photo-électique sous le couvercle de son bureau et qui sonnait dès qu’elle le soulevait en arrivant etc. Cette prof était super sympa et nous racontait des blagues de potache entre deux séances pédagogique sur les tables de vérité. Elle m’a fait adorer les probabilités car cela allait m’aider dans le montage de mes multiples signaux d’alarme.

Au lycée, en Histoire-Géographie, nous avons eu deux maigrelettes : mademoiselle Cancier et madame Hamon. Je leur aurais imaginé davantage de relief vu leur spécialité… Leurs cours étaient aussi passionnants que longuets. Et elles nous donnaient des pages et des pages à apprendre au quotidien, ajoutant que cela nous servirait plus tard. Je le savais depuis la sixième puisque cela me guidait tout au long de mes vacances.

La prof de physique-chimie était très pragmatique. Elle nous faisait autopsier et triturer toutes sortes de bestioles à peine trucidées, surtout des grenouilles, et proposa aux volontaires de démonter et remonter entièrement un moteur de 2 CV. Le goût ne m’a pas pris de mettre les mains au cambouis en dehors des horaires scolaires, cela dit.

Le souvenir le plus marquant revient toutefois à notre prof de philosophie : Madame Monique Attali-Gillois qui était la fille d’André Gillois. De cours en cours, nous apprenions tout sur sa famille et surtout sur ses filles  : l’une partie vivre en Chine, l’autre transsexuelle etc.

Elle avait une vision très incarnée de la philosophie. Dès les premiers cours elle nous proposa de répondre collectivement aux demandes d’échanges épistolaires de prisonniers parues dans Libération.

Dès le premier cours, elle nous a donné le goût de la méthodologie et de la persévérance. Selon elle, philosopher consistait à débusquer la vérité avec un fusil à tirer dans les coins. Elle nous rappela que selon Niezsche, ce qui manquait le plus à l’homme était la faculté de ruminer. Bien plus efficace que simplement tourner 7 fois sa langue dans sa bouche avant de parler. D’ailleurs, fréquemment, un élève répondait à brûle pourpoint à ses question en lâchant un lieu commun. Ses répliquest furent inoubliables et pédagogiquement porteuses de sens : « Ouvrez vite une fenêtre j’étouffe » Car nos absurdité la faisait réellement étouffer. C’était très théâtral. En lisant nos introductions de dissertations comme en écoutant nos débuts d’exposés, elle nous invectivait souvent en s’exclamant : « Quand cesserez-vous de me balancer à la figure des balançoires en guimauve ? »

Au lieu de commencer par « de tous temps les hommes », introduction la plus bateau, il fallait se demander en lisant la question « Où est-ce que ça mord ? » En effet toute question philosophique devait rejoindre notre questionnement existentiel et concret du jour. Pour nous habituer à sortir de nos interprétations subjectives, elle eut l’idée géniale de transformer les deux heures de cours du mercredi en atelier de peinture ; Chaque élève devait apporter un objet en 3D, une toile, une palette et une boite de tubes de peinture acrylique. Il fallait absolument- coller à la réalité, à la vérité vraie. D’où l’interdiction de partir de photos ou de tableaux. Mon voisin de table,  François Cassingéna, osa transgresser. Il avait apporté une carte postale et une boite de gouache car il ne voyait pas l’intérêt d’encombrer son cartable avec quoi que ce soit d’autre que ses dictionnaires de latin et de grec. Il faut dire que ce copain au crâne rasé de près et aux lunettes aux épais verres à monture écaillée avait tout d’un moine bouddhiste et faisait bien le pendant à Yvan Eudes, notre » séminartiste ».

Pour le sport, nous devions monter à la piscine et au gymnase de l’établissement qui était notre précédent collège. Nous en avions bien besoin vu la densité pédagogique des cours et des devoirs. Or, nous avons été contraints de remarquer, qu’en ces deux lieux, François Cassingéna brillait non pas ses notes (avoisinant souvent le top niveau) mais pas son absence. Il avait obtenu une autorisation spéciale de remplacer ces deux heures de sport par une heure de grec et une heure de latin.

Avec Michel, nous lui avions écrit une petite chanson jubilatoire :

« Couplet : Qui est le premier en Français ? Cassingéna !

Qui est un champion en Philo ? Cassingéna !

Qui ne va jamais à la piscine ? Cassingéna !

Qui est dispensé de gym ? Cassingéna ! 

Refrain:Cassingéna !  Cassingéna ! 

Il est super Cassingéna 

Le jour de la réception de la convocation à l’écrit du bac avançant à grands pas, nous mettions les bouchées quadruples pour réviser. Mauvaise nouvelles à 15jour du jour  : Jean-Marc ne pourrait pas passer le bac. Il devrait se reposer pour cause de surmenage. Mon voisin de droite ; Eric, se vantait de se la couler douce pour ne pas subir le même sort,; il réviserait un chapitre de chaque matière. Mon ami Michel surenchérit : il ne réviserait rien car il n’avait pas besoin du bac, étant déjà admis dans une école d’animation. Pour ma part, j’étais peu inquiet. La mère directrice faisait courir partout le bruit que François Cassingena et moi remporterions le bac haut ma main avec une mention très bien ayant une moyenne annuelle plafonnant dans les 18 et 19.

La suite de l’histoire s’avéra des plus étonnantes :

Eric tomba pile sur l’unique sujet préparé dans toutes les matières.

Après négociations, Michel obtint son bac sans même devoir le passer ayant écrit aux instances académiques pour expliquer qu’il n’avait reçu aucune convocation, ni pour l’écrit ni pour l’oral. Le rectorat se sentit obligé de lui accorder le bac avec avec 10/20.Il ne cessait de certifier qu’on lui avait fait cadeau de ce bac, pour lui, inutile.

Quand au mien, il fut une suite de surprises. pour commencer, un sujet marxiste en philosophie. Même en m’impliquant à l’identique dans la thèse et dans l’antithèse, j’avais la certitude d’être grillé avec une question aussi politicienne.

En mathématiques, on m’a fait tirer un sujet en me donnant 10 minutes pour le préparer, mais j’ai répondu ne pas avoir besoin de ces dix minutes et j’ai donné sans défaillir toutes les bonnes solutions. Cela a fait grimacer mon jury.

En Histoire-Géographie, j’ai tiré une question sur la montée du nazisme à partir des relations entre Hitler et Mussolini. C’était le sujet de 3 volumes de thèse d’Histoire qu’un ami plus âgé que moi m’avait donné à lire et à corriger avant de l’éditer. De ce fait, j’ai pu répondre immédiatement dans les moindres détails. Le jury m’a dit « Pas possible de retenir tout cela, vous devez faire partie des jeunesses hitlériennes, on va voir si vous êtes aussi fort sur un sujet sur le communisme ». On m’a alors demandé de dater, localiser et décrire la construction des villes nouvelles autour de Moscou en lien avec le plan de développement du gouvernement communiste. J’avoue m’être senti en plein hors sujet.

Le verdict tomba quelques jour plus tard : le bac décroché, certes, mais juste avec ula mention “Assez Bien”. La directrice, mère Delval, m’a présenté ses condoléances m’assurant que cette mention ne correspondait pas à mon niveau.

Contrairement à ce que je croyais, cette année allait changer de connotation dans ma mémoire. Je n’appellerai pas ma terminale mon année Catastrophe à cause du bac sous évalué, mais mon année Krzyzaniak à cause de la naissance d’une belle amitié !

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (513)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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