La rencontre historique – Jean-Marie Audrain

Voici une narration tout à fait historique sans aucun rapport avec l’actualité politique. Pour ne froisser personne, les noms propres ont été omis, la date non stipulée et les mouvements politiques réduits à leur appellation générique.

 Les lieux cités demeurent identiques.

Cette narration devrait satisfaire les journalistes, les historiens,  les polémistes et les Devossiens.

Elle pourrait tout autant contenter les soixante-huitards, les banlieusards, les Parisiens et les amateurs de bals costumés

Je ne sais pas si vous avez remarqué comme il se passe des choses étonnantes ce mois-ci à Paris. Tenez, l’autre jour, j’ai assisté à une rencontre historique ; celle de deux manifestations qui marchaient en sens contraire, car leurs idées étaient contraires.

D’un côté, les Royalistes, venant de la rue de Varennes, formaient un cortège qui avait quelque chose de funèbre. De l’autre, les Républicains, qui arrivaient de la Bastille marchaient à présent sur la Petite Couronne.

Quand les deux têtes de file se sont trouvées nez à nez, j’ai bien cru qu’elles allaient se faire une grosse tête. Le Républicain hurlait rouge comme un coq  :”Vive la République”, et le Royaliste criait à tue-tête : Vive le Roi !

– Pour quel Roi braillez-vous donc comme ça ? demanda le Républicain, histoire de lui tenir tête? Le Royaliste répliqua aussitôt :

– N’essayez pas de vous payer ma tête et ne remuez pas la lame dans la plaie. Ignorez-vous que le Roi est mort?

– Excusez-moi, je ne savais même pas qu’il était malade. Mais alors, le Roi, ce n’est pas vous ?.

Le sang montait à la tête du Royaliste qui s’écrasa vu que le Républicain avait une tête de plus que lui :

– Ce n’est pas moi c’est Louis.

– Si ce Louis dort, pourquoi criez-vous comme ça ?

– Pour rallier le Tiers Etat.

– Mais l’Etat, c’est la République !

– L’Etat c’est Moi a dit P’tit Louis.

– Alors nous défilons pour la même chose.

Les criards finirent par s’entendre : il fallait manifester pour sauver l’Etat.

– Manifestons pour l’Etat ! s’écrièrent-ils comme un seul homme.

– Pour l’Etat Roi ! proclama le Royaliste.

– L’Etat Loi répliqua ! le Républicain

– État frère ! risqua une voix dans la foule.

– Et ta sœur ! lui renvoya le Républicain. Ce qui eut pour effet de mettre le Royaliste dans tous ses états. Devant cet état de fait, tous deux durent délibérer en tête à tête pour trancher. Pour quel Etat fallait-il manifester ?

Finalement, craignant que le Royaliste s’entête, le Républicain proposa de tourner autour de la place de la Concorde au nom de l’Etat tout court. Sitôt dit, sitôt fait, un unique cortège se forma.

– Prenez donc la tête, dit le Royaliste, laissant échapper les premiers mots qui lui passaient par la tête.

Dès le premier tour, la tête du Royaliste commençait à ballotter.

– Stoppons, la tête me tourne, ordonna- t- il tenant sa tête de ses mains car il se sentait en échec.

– Séparons nos troupes et rentrons dans notre fief. Le nôtre est à La Courneuve. Et vous, en avez-vous un ? demanda le Républicain.

– Nous avons Choisy-le-Roi.

– Et pourquoi pas Bourg-la-Reine ?

– Parce qu’à Choisy, nous sommes sous la croisée de la Pompadour, enfin du Carrefour.

Avant de se séparer, je voudrais vous poser une question qui me trotte dans la tête :

Pourquoi avez-vous rasé la Bastille ?.

– Pour faire ’la place.

– Et qu’avez-vous mis à la Place de la Bastille ?

– D’abord des barricades, puis des piquets de grève.

– Avouez qu’ils auraient été mieux placés sur le Champ de Mars ou sur les Champs Elysée, vos piquets ?

– Oh, vous savez, ils ne sont là que pour la clôture de la manifestation.

– Monsieur, dit le Royaliste, je voyais en vous un sanguinaire, je m’étais laissé monter la tête, mais vous me l’avez remise sur les épaules. Dans le fond, dans l’Etat actuel des choses, Royaliste et Républicain, c’est bonnet blanc et blanc bonnet !

Ils se saluèrent, le Royaliste en ôtant sa perruque poudrée et le Républicain en se découvrant de sa coiffe phrygienne.

Chacun rentra chez lui tête basse en ne cessant de répéter “Dans quel Etat j’erre, mais dans quel Etat j’erre…”

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (509)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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Marie Grant
Marie Grant
Invité
16 septembre 2020 23 h 44 min

Cette histoire très amusante ponctuée de jeux de mots , une réflexion pétillante sur des antagonismes qui peut-être n’en sont pas!