Voici une narration tout à fait historique sans aucun rapport avec l’actualité politique. Pour ne froisser personne, les noms propres ont été omis, la date non stipulée et les mouvements politiques réduits à leur appellation générique.
Les lieux cités demeurent identiques.
Cette narration devrait satisfaire les journalistes, les historiens, les polémistes et les Devossiens.
Elle pourrait tout autant contenter les soixante-huitards, les banlieusards, les Parisiens et les amateurs de bals costumés
Je ne sais pas si vous avez remarqué comme il se passe des choses étonnantes ce mois-ci à Paris. Tenez, l’autre jour, j’ai assisté à une rencontre historique ; celle de deux manifestations qui marchaient en sens contraire, car leurs idées étaient contraires.
D’un côté, les Royalistes, venant de la rue de Varennes, formaient un cortège qui avait quelque chose de funèbre. De l’autre, les Républicains, qui arrivaient de la Bastille marchaient à présent sur la Petite Couronne.
Quand les deux têtes de file se sont trouvées nez à nez, j’ai bien cru qu’elles allaient se faire une grosse tête. Le Républicain hurlait rouge comme un coq :”Vive la République”, et le Royaliste criait à tue-tête : Vive le Roi !
– Pour quel Roi braillez-vous donc comme ça ? demanda le Républicain, histoire de lui tenir tête? Le Royaliste répliqua aussitôt :
– N’essayez pas de vous payer ma tête et ne remuez pas la lame dans la plaie. Ignorez-vous que le Roi est mort?
– Excusez-moi, je ne savais même pas qu’il était malade. Mais alors, le Roi, ce n’est pas vous ?.
Le sang montait à la tête du Royaliste qui s’écrasa vu que le Républicain avait une tête de plus que lui :
– Ce n’est pas moi c’est Louis.
– Si ce Louis dort, pourquoi criez-vous comme ça ?
– Pour rallier le Tiers Etat.
– Mais l’Etat, c’est la République !
– L’Etat c’est Moi a dit P’tit Louis.
– Alors nous défilons pour la même chose.
Les criards finirent par s’entendre : il fallait manifester pour sauver l’Etat.
– Manifestons pour l’Etat ! s’écrièrent-ils comme un seul homme.
– Pour l’Etat Roi ! proclama le Royaliste.
– L’Etat Loi répliqua ! le Républicain
– État frère ! risqua une voix dans la foule.
– Et ta sœur ! lui renvoya le Républicain. Ce qui eut pour effet de mettre le Royaliste dans tous ses états. Devant cet état de fait, tous deux durent délibérer en tête à tête pour trancher. Pour quel Etat fallait-il manifester ?
Finalement, craignant que le Royaliste s’entête, le Républicain proposa de tourner autour de la place de la Concorde au nom de l’Etat tout court. Sitôt dit, sitôt fait, un unique cortège se forma.
– Prenez donc la tête, dit le Royaliste, laissant échapper les premiers mots qui lui passaient par la tête.
Dès le premier tour, la tête du Royaliste commençait à ballotter.
– Stoppons, la tête me tourne, ordonna- t- il tenant sa tête de ses mains car il se sentait en échec.
– Séparons nos troupes et rentrons dans notre fief. Le nôtre est à La Courneuve. Et vous, en avez-vous un ? demanda le Républicain.
– Nous avons Choisy-le-Roi.
– Et pourquoi pas Bourg-la-Reine ?
– Parce qu’à Choisy, nous sommes sous la croisée de la Pompadour, enfin du Carrefour.
Avant de se séparer, je voudrais vous poser une question qui me trotte dans la tête :
Pourquoi avez-vous rasé la Bastille ?.
– Pour faire ’la place.
– Et qu’avez-vous mis à la Place de la Bastille ?
– D’abord des barricades, puis des piquets de grève.
– Avouez qu’ils auraient été mieux placés sur le Champ de Mars ou sur les Champs Elysée, vos piquets ?
– Oh, vous savez, ils ne sont là que pour la clôture de la manifestation.
– Monsieur, dit le Royaliste, je voyais en vous un sanguinaire, je m’étais laissé monter la tête, mais vous me l’avez remise sur les épaules. Dans le fond, dans l’Etat actuel des choses, Royaliste et Républicain, c’est bonnet blanc et blanc bonnet !
Ils se saluèrent, le Royaliste en ôtant sa perruque poudrée et le Républicain en se découvrant de sa coiffe phrygienne.
Chacun rentra chez lui tête basse en ne cessant de répéter “Dans quel Etat j’erre, mais dans quel Etat j’erre…”
Cette histoire très amusante ponctuée de jeux de mots , une réflexion pétillante sur des antagonismes qui peut-être n’en sont pas!