Fait à la lettre – Christian Satgé

Petite fable affable

Vieil et las, un homme, en nos montagnes
Vit, sans un bien ni plus de compagne ;
Il pleure son fils embastillé,
Loin, pour pécadilles enquillées.
S’il a échappé à la Guyane,
Écrire est leur seul fil d’Ariane.
Dans les lettres ainsi échangées
On cause du pays inchangé,
Du temps qu’il fait et du temps qui passe,
De tout, de rien, du reste,… toujours
Ressassant des « si… » jusqu’à l’impasse,
À faire le décompte des jours.
Jusqu’au matin où, dans sa cellule,
À l’adresse de son matricule,
Ce fils reçoit du père un courrier
Qui, las, l’a fortement contrarié :

« Mon fils tant aimé,
Je suis mal allant.
L’âge a entamé
Forces et talent
Que j’avais pourtant,
Œuvrant à la hâte
Au travail, par temps
Beau ou qui se tâte.
Vient, ici, le temps
De planter patates
Mais je ne le puis.
Si tu étais là,
Avec ton appui,
Et sans tralala,
On aurait tourné
Cette foutue terre
Qui me fout par-terre
Rien que de la voir
Friche. Matin. Soir. »

Quelques jours plus tard, l’Ancien put lire
Ce petit mot qu’il prit pour délire

« Mon tendre et bon Père
Que l’âge anoblit,
S’il te plaît, oublie
Les pommes de terre.
Laisse reposer
Leur champs. J’ai semé
Là, oui j’ai osé,
Un blé mal famé
Qu’on moissonnera
À mon retour.
Biens, il donnera…
Car il vaut détours ! »

Alors que le vieux finit de lire
Cette lettre, sirène en délire,
La gendarmerie arrive à lui,
Puis le G.I.G.N. Sans bruit.
Suivait la Police de Paris,
Comme en tout, toujours cavalerie.
Notre montagnard, mine inquiète,
Ne comprend à cela mot ni miette
Mais se tait, rouge de confusion,
Craignant que ça prête à contusions.
Tous fouillent le jardin et les champs,
Creusés, retournés d’un air méchant ;
Pour ça, charrue n’aurait pu mieux faire !
Mais rien ne fut trouvé. Ah misère !
Les voilà Gros Jean comme devant
À repartir comme un coup de vent.
Une semaine après cette affaire,
L’Ancien reçoit, pourquoi donc le taire ?,
Un poulet du fiston à boulet
Qui, de la sorte, était libellée :

« Très aimé Papa,
Je sais que courrier
Ici, pas à pas,
Est fort étudié.
Donc, je suis certain
Que le champs est prêt,
Grâce à ces crétins,
À être tout près
D’enfin recevoir
Les pommes de terre.
Comme tu peux voir,
Je ne pouvais, Père,
Faire mieux pour toi
Tout loin que je sois.
Et pour les flics qui croyaient surprendre
Un secret ou en cherchent ici :
Gare à ce que vous croyez comprendre
Des mots et des intentions d’autrui. »

© Christian Satgé – février 2014

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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Geno
Geno
Invité
27 mars 2017 13 h 46 min

… ou tel est pris qui croyait prendre ! Merci Christian