Capitulation cérébrale – Jean-Yves Mailleux

Capitulation cérébrale

(Lettre de remord d’un singe remonté sur sa branche)

Pour apprécier vivre en ces temps troublés, il fallait développer l’intelligence d’être sot, se réjouir du futile, graisser ses œillères, bannir l’utopie et ensevelir l’étincelle sous l’amas du médiocre.
Troquer la soif du savoir contre l’opulence de la stupidité.
Telle était la recette quotidienne d’une existence supportable.
J’ai ainsi pu me préserver du meurtre de mon humanité, de la crucifixion de mes idéaux, de la décapitation de mes valeurs.

Mais alors que la sérénité de l’ignorance me tendait les bras, que la quiétude de l’abrutissement m’enlaçait de promesses, j’ai ouvert les yeux par instinct et n’ai vu que le néant, j’ai tendu l’oreille par réflexe, et n’ai ressenti que le vide. La mélodie de la vie avait cessé en même temps que ma souffrance.
Je suis alors devenu triste de ne plus pourvoir être en peine.

En annihilant ma passion, j’avais oublié la beauté du chagrin.
J’avais cessé de vivre pour survivre.
J’avais trahi ma révolte et condamné mon sourire à la famine.
En remontant sur ma branche, je voulais oublier ma douleur.
Mais mon arbre a cédé sous le poids du remord et la chute a décuplé mon angoisse.

Que le tourment me pardonne de n’avoir pas osé me soumettre au peloton et d’avoir privé mon âme de la fierté de la rébellion.

Soyez heureux de votre tristesse, elle est le doigt tendu de l’homme à la médiocrité. Elle est symbole d’humanité.

J.Y.M.

 

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