La vache au curé – Christian Satgé

Petite fable affable d’après Brunain, la vache du prêtre,
fabliau de Jean Bodel, XIIe s.

Notre curé n’était pas, Dieu, un modèle.
Aimant la bagatelle et la mortadelle,
Ce ladre avaricieux, matois et sournois,
Ne tirait guère, à son gré, de bénéfice
De son sacerdoce ni de ses offices.
Il décida que le temps lassant des noix
Où le balai a moins de poils que de manche
Était bien passé : à lui, l’heure de l’or !

Aussi, lors de chaque sermon du dimanche,
Répétait-il à tous, de plus en plus fort,
Que si on prête à Dieu, il le rend au double.
Il fit si bien qu’un vieux paysan entend
L’allusion du prêche et, non sans quelque trouble,
Va lui offrir sa vache comme orviétan
À une vie pourtant exempte de reproches
Mais l’heure du jugement était si proche…

Cette vache était sûrement son seul bien.
Le curé en a déjà une. Combien
Pourrait-il bien en compter, chaque dimanche
Passant, en plus en son pré ?… Il y songeait
Disant au bedeau de mener la longée
Un peu maigre, mais née au pays romanche,
Avec sa bête à concours, belle et grasse.
Et l’autre le fit sans se faire prier.

Arrivés au pré, le sacristain bonasse
Décide, par facilité, de lier
Cette nouvelle venue à l’autre bête ;
Comme cela, elle ne pourrait pas fuir
Et sa compagne, en ce lieu, lui serait guide.
Mais notre vache maigre a beau être de cuir,
Elle se languit vite des prés arides,
Des attentions prodiguées par le vieillard
Qui la fit naître, bon quoique sans un liard.

Aussi sans violence et, bien mieux, sans exorde
Mais plutôt à force de tirer sur la corde
Qui, par les cornes, l’unit à l’animal
Du prêtre, elle le convainquit sans peine
De la suivre par les chemins et la plaine.
L’autre vaqua sans doute, où est donc le mal ?,
Croyant qu’elle connaissait, ailleurs, une herbe
Bien plus verte que celle de son enclos.

Notre vieux paysan reprit vie et verbe,
Quand vint, là, à lui sa vache avec, en lot,
Une de ses sœurs. Il tomba en prière
Bénissant les Cieux de lui avoir rendu
Comme entendu… de façon inattendue,
Puis va louer son curé juste derrière.
La ruse la mieux ourdie, mes biens chers frères,
Peut nuire à son auteur… qui n’a plus qu’à braire !

© Christian Satgé – avril 2013

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Christian Satgé

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Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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7 Commentaires
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Plume de Poète
Administrateur
23 novembre 2017 7 h 59 min

Avec mes origines Normande je ne peux qu’approuver cette fable quand il s’agit de vache…
Merci Christian pour ces belles fables que vous nous faites partager quotidiennement.
Mes amitiés,
Alain

Anne Cailloux
Membre
22 novembre 2017 16 h 42 min

La vache… j’adore naturellement..