Ciel ! mes aïeux  : Marguerite et Georges – Autobio Tome XXXVI – Jean-Marie Audrain

XXXVI – Ciel ! mes aïeux  : Marguerite et Georges

Je suis impatient de vous partager avec vous quelques souvenirs et quelques photos de mes grands-parents maternels prénommés Marguerite et Georges. Depuis tout petit je sais que ma grand-mère se prénomme Marguerite car mon grand-père aimait lui faire plaisir en lui chantant : « Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite Marguerite, Si tu veux faire mon bonheur, Marguerite donne-moi ton cœur ».

Je vous ai déjà parlé d’elle en vous racontant mes années Mussy. En fait elle est née à l’autre extrémité de l’Aube, à Ervy-le Châtel, en ce qui est devenu le pays d’Armance. Marguerite était un modèle de discrétion qui ne parlait jamais d’elle, mais se tenait toujours à l’écoute des autres. Quand j’étais gamin, je voyais qu’elle prenait plaisir à me

 

 modeler des petites tartes en forme de bateau ou de…marguerites ! Il est vrai que dans les oraisons funèbres tout le monde devient un brave type, comme l’avait chanté Brassens, mais lors de sa messe d’obsèques, plusieurs personnes ont témoigné que, de toute leur vie, elles ne l’ont jamais entendu proférer le moindre mal de qui que ce soit. J’ajouterai que de mon côté, je ne l’ai jamais vue quitter son sourire bienveillant.

Les souvenirs les plus durables que je garde de mes grands-parents maternels sont ceux consécutifs à leur aménagement dans l’appartement du rez-de-chaussée droite de l’escalier de mes parents la porte en face de celle de ma grand-mère paternelle. J’aimais énormément passer mes jeudis, puis mercredis après-midi, chez eux.

A Mussy, mon grand-père, prénommé Georges, était très souvent avec son frère Raymond ry avec sa sœur Hélène et son mari Louis . Son autre frère était mort le dernier jour de la dernière guerre. Mon grand-père, lui était revenu vivant des deux guerres du XXème siècle, mais il avait refusé de porter les armes préférant la mission d’infirmier-brancardier. Il dut apprendre sur le terrain les métiers de médecin et de pharmacien. A la première guerre, son bataillon fut envoyé à Thessalonique (ou Salonique). Il était sous le feu des canons des deux camps tant ça tirait dans tous les sens. Il ne fut démobilisé qu’un an et demi après l’armistice, ce qui lui laissa le temps de sculpter de nombreuses douilles d’obus qu’il a rapportées en souvenir. De retour à Mussy, il secondait la pharmacienne devenue veuve de guerre et on le prenait pour le pharmacien. Lors de la guerre de 39-45, les allemands s’étaient emparés de la statue en bronze de Napoléon de la place du centre-ville pour la faire fondre et la couler en fut de canon. Mon grand-père eut la bonne idée de remplacer la statue en prenant la place de Napoléon pendant toute une demi-journée.

Georges n’ouvrait la bouche que pour livrer une pensée soit humoristique soit philosophique, parfois les deux s’entremêlant. Je me souviens l’avoir vu passer toute sa retraite dans son fauteuil crapaud en cuir de vachette, son journal L’Aurore à la main. Il en avait fait sa Bible, tout anticlérical qu’il était. Il se faisait un devoir de s’informer au jour le jour de tout ce qui se passait en France et dans le monde. De même, il se faisait un devoir d’avaler tous les soirs avec le sourire l’inévitable soupe poireau-pomme de terre de son épouse attentionnée. Dès que celle-ci était servie, il fallait s’asseoir et se saisir de sa cuiller pour ne pas la laisser refroidir. Mon grand-père lui disait : « Marguerite, tu te jettes sur la soupe comme la misère sur notre pauvre monde ».

Georges était aussi membre de l’équipe de direction de la FIP, la Fédération Internationale de Philatéliques. Il était ami avec son président Lucien Berthelot qui animait le magazine Télé-Philatélie avec l’adorable blonde Jacqueline Caurat sur RTF, l’unique chaîne de l’ORTF de l’époque. C’est pour voir cette dernière (l’émission, pas la belle speakerine) qu’il acheta un téléviseur, évidement noir et blanc. En complément, le catalogue Yvert et Tellier était son Missel annuel. Il recevait périodiquement un petit cahier avec tous les timbres du mois qu’il pouvait soit acheter soit réévaluer ou légender. Il passait des heures, avec sa pince à timbres et sa loupe appelée compte-fils, à extraire délicatement chaque timbre de sa bande protectrice en papier de soie avant d’y remettre la majorité qu’il ne voulait pas acquérir. Le cahier devait être aussitôt envoyé à l’abonné suivant de la chaîne des philatélistes de la FIP. Un jour, j’ai trouvé mon grand-père inanimé dans son fauteuil crapaud, son catalogue Yvert et Tellier dans une main et son cahier de la FIP dans l’autre. Il ne répondait pas et ne sentait pas quand je posais ma main sur lui. Je l’ai cru mort et n’ai même pas eu le courage d’aller chercher ma grand-mère dans la cuisine. Je me suis agenouillé et j’ai prié très fort en retenant mes larmes ; au bout de quelques minutes mon grand-père a rouvert le yeux et a dit « Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, j’ai plongé tout d’un coup je ne sais où ». Il avait le chic pour me rassurer mon grand-père et il m’a montré les timbres qu’il venait de sélectionner.

Quelque temps plus tard, Georges développa un cancer de la prostate que les médecins préférèrent ne pas toucher. Mon grand-père quitta le lit conjugal pour s’installer dans la chambre d’ami afin de ne pas incommoder son épouse par ses insomnies et ses spasmes de douleur. Sentant sa fin approché, ma grand-mère convoque l’aumônier pour lui administrer l’extrême onction ; Après un bon quart d’heure en tête à tête, celui-ci sortit de la chambre et nous dit, à Marguerite et à moi : « C’était un très grand croyant, mais, par pudeur, il vous l’aura bien caché ».

A son décès, ma grand-mère à convoqué Raymond Pradayrol, le numéro 2 de la FIP, afin d’évaluer le contenu de tout un meuble contenant la collection de timbres de toute la vie de son époux. Celui-ci passa une semaine à tout éplucher et conclut que l’ensemble valait dix millions de francs, mais qu’il ne pouvait lui en proposer qu’un million car il lui fallait comptabiliser ses heures de travail pour tout classer à sa manière dans une perspective commerciale et non patrimoniale. S’il ne s’était pas présenté comme un confère de mon grand-père, je crois bien que je lui aurais fait manger son catalogue Yvert et Tellier.

Ma grand-mère se retrouvant seule, je passais davantage de temps avec elle. J’aimais me tenir à ses côtés et la féliciter quand elle trouvait mieux que les candidats de l’émission Des chiffres et des lettres, qu’elle n’aurait raté pour rien au monde jusqu’à ses derniers jours. Tant que sa santé le lui permit, elle se leva à 7 heure du matin pour ce qu’elle appelait sa grande toilette et qui se terminait par une séance de discret maquille. Marguerite était aussi coquette que discrète. Presque tous les dimanches, sa fille cadette, Paulette (Tata Popo) et son mari, tonton Claude, venaient taper le carton avec elle. Au rami aussi ma grand-mère était championne et abattait à chaque fois d’un seul coup toutes ses cartes, remportant la partie à l’étonnement de tous.

J’obtins d’elle de pouvoir installer dans se chambre d’amis quelques instruments pour jouer avec…mes amis, justement. Mon orgue, ma guitare électrique et ses pédales, mon ampli et une batterie achetée à Baby Station le magasin de jouets du bout de la rue afin de remplacer les barils d’Omo ou de Persil qui finissaient par se crever à force de jouer les tam-tams. C’est ainsi que je lui fis découvrir quelques titres des Rollings Stones ou de Led Zeppelin, le groupe qui, comme je vous l’ai déjà dit, n’aimait pas la voisine dont le mari travaillait de nuit à l’Humanité.  Jusqu’à ses derniers mois, Ma grand-mère demanda à revoir ses amies d’enfance avec lesquelles elle aimait rigoler de leur bêtises de gamines et de leurs gaffes d’adultes. Marguerite rivalisait avec Mariette pour en remporter la palme.

Je pourrais vous parle durant des heures de la gentillesse de cette grand-mère, mais venons en à ses derniers jours. Je pense qu’elle s’est laissé dépérir après ma rupture d’avec Catherine ma fiancée. Elle s’alimenta de moins en moins, s’affaiblit et engagea la jeune Naïma pour l’aider, une fois qu’elle dut se résoudre à rester au lit. Elle nous quitta en peu de temps, sans même donner signe d’être sur le point d’atteindre le port, selon sa discrétion habituelle. Je l’ai veillée dans les larmes et dans la prière toute la première nuit succédant à son grand départ me demandant même si je ne la veillerai pas 15 jours comme venaient de les faire mes voisins juifs de l’étage du dessus lors du décès de la tante de mon amie la grande Catherine.

Jusqu’à sa mort, Marguerite avait gardé sur le marbre du buffet de son séjour une grande photo en couleur faite par mon papa en souvenir d’un jour de fête historique. Pour leurs 50 ans de mariage, ma grand-mère était allé acheté une langouste pour donner un air plus festif à sa table d’où elle avait sorti les deux rallonges pour ma maman, mon papa, mon tonton Claude, ma tata Popo, Whisky son caniche-nain et pour son unique petit fils (Tata Popo ne pouvait pas lui en offrir un). En rentrant de la grande poissonnerie de la rue principale, elle disposa la langouste dans un plat de faïence avec un beau liseré d’or et posé devant la tête du crustacé écarlate un ovale encarton blanc sur lequel elle avait écrit de sa plus belle écriture et en lettre d’or : « Noces d’or de Georges et Marguerite ». En se levant de son fauteuil crapaud mon grand-père lui demanda combien Legraverend (le nom du poissonnier) lui avait vendu sa bestiole, car il n’avait jamais investi dans des denrées de luxe, et quand celle-ci lui révéla le prix payé, mon grand-père devint aussi rouge que la langouste. Il a prestement retourné le carton que cette dernière arborait et rédigea à son dos «Cette chère langouste». C’est la photo de ce carton posé sur la langouste des noces d’or qui, selon la volonté de ma grand-mère, trônait au coeur du séjour en souvenir de l’amour et de l’humour de Georges, le mari de sa Marguerite.

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (509)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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Denis
Denis
Invité
12 décembre 2020 18 h 07 min

Oh ! Quel bel hommage plein de tendresse pour le papi et la mamie ! Il est bon de se souvenir des êtres aimés, en souhaitant que d’autres feront de même pour nous. Excellente continuation à son auteur.

Marie Rose
Marie Rose
Invité
11 décembre 2020 14 h 14 min

Merci de partager, très beau souvenir

Hélène Bouchet
Hélène Bouchet
Invité
11 décembre 2020 10 h 07 min

Quelle mémoire j’ai l’impression d’un film à la Yves Robert avec Robert
Lamoureux dans Papa Maman la bonne et mo.i Que de souvenirs pour nous expliqués ,racontés…Des Grand -Parents ou tout semblait couler de source ou le temps s’écoulait doucement, où l’on prenait.”le temps d ‘Etre”. Merci Jean – Marie

Hélène Marie
Hélène Marie
Invité
11 décembre 2020 9 h 51 min

Quel bonheur de lire que tu as eu ces merveilleux grands-parents, comme on ne doit plus trop en trouver de nos jours !

Picchetti Guylaine
Picchetti Guylaine
Invité
11 décembre 2020 9 h 27 min

Comme cette histoire vécue est belle et pleine de douceur et d’amour. De tels souvenirs des grands parents sont si émouvants ..
Merci pour ce beau partage.

Invité
10 décembre 2020 22 h 15 min

C’est super de connaître ça :)

Clause Yolande
Clause Yolande
Invité
10 décembre 2020 19 h 56 min

Merci de nous partager ces instants de vie intime, de famille.

Joëlle Rouchet
Joëlle Rouchet
Invité
10 décembre 2020 19 h 36 min

Douce mélancolie des instants précieux partagés avec Georges et Marguerite que l’on se prend à considérer au fil de la lecture comme ses propres grands-parents.