Le mièvre & la tordue – Christian Satgé

Petite fable affable d’après Le lièvre & la tortue de J. de La Fontaine (Fables, VI, 10)

 

Rien ne sert de mourir ; il faut partir à point.

Le Mièvre et la Tordue nous en font témoignage.

 

« Gageons, dit-elle : ma mort fera plus de foin

Que la vôtre ! 

                         – Fi, que la mienne !… À ton âge,

Mamie ? Fit-il gai comme un geai.

Qu’importent les vieux objets

Comme les antiques amphores !

 

– Si c’est vol qu’un pari l’honore ! »

 

On misa donc et chacun d’eux

Mit sa vie en péril par jeu.

Savoir comment ? La belle affaire !

Mais arriva vite leur fin.

 

Celle du mièvre n’a pu, las, satisfaire

Que la gazette et les ragots de ces confins

Et on oublia jusqu’à son nom en sa lande

Où reprirent les sarabandes.

 

On pleura fort la tordue, à n’en pas douter,

Sans radoter ni filouter.

Car c’est toujours ainsi lorsque se tue

Ou meurt le moindre fondateur

D’une dynastie de tortus

Qui fait la joie du spectateur

En scènes ou cirques faisant pâmer l’auditoire

Sans toujours offrir fortune et gloire.

 

C’était là son baroud d’honneur :

Les mièvres ne firent pas de pause

À moquer cette « étrange chose »,

Qui rêva d’ « être quelqu’un » toute sa vie.

Son décès lui donna la gloire hors ses bruyères :

On la remarquait enfin, commentant à l’envi

Avec maints éloges sa longue carrière.

Mais put-elle jouir d’avoir ainsi raison ?

Nenni !… Le prix de la justesse

De vue vaut-elle la tristesse

D’un deuil venu avant saison ?

 

© Christian Satgé – juin 2021

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Christian Satgé

Christian Satgé (834)

Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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4 Commentaires
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Roseline Pélage
Membre
30 juin 2021 17 h 12 min

Elle “jura” peut-être “mais un peu tard qu’on ne l’y prendrai plus”.
Superbe fable !!

Lucienne Maville-Anku
Membre
29 juin 2021 18 h 05 min

“Le prix de la justesse
De vue vaut-elle la tristesse
D’un deuil venu avant saison ?”

On n’a le contrôle
Pas même de ses rêves…

Beau texte parlant, Christian.