LA BOHÈME Seconde partie
Son commis, Marmiton d’un soir, était fort occupé à relever le défi qu’un de mes compagnons lui avait lancé. Le Tchou-Tchou ou « le train de vie de l’au delà ». Jeu de mots et de maux qui prend ici toutes ses valeurs, quand on sait les ravages que fait « l’eau de vie » qui envoie ses adeptes dans l’au delà. Une dizaine de petits verres remplis de vodka formait une chaîne à la manière d’un petit train, et notre homme prenait justement le train en marche. Chaque verre qui disparaissait dans le tunnel de son estomac le transportait de joie ; d’Omnibus en partance pour la plonge des gamelles, il embarquait dans le wagon restaurant de l’Orient Express. Mon beau-père avait entraîné la patronne dans des valses chavirées, un coup à l’endroit, un coup à l’envers. Elle était toute retournée et ne quittait plus la piste de danse, se sentant l’âme gitane. Mais dans un souci de vérité, son cavalier lui posa un ultimatum : « t’es habillée comme une paysanne… Ce n’est pas bien… Tu ne fais pas honneur à notre race… Vas te changer et ne reviens que lorsque tu seras habillée de façon décente ». Chez nous, il est une coutume encore appliquée par les Anciens, qui est faite aux femmes, de ne pas montrer ses jambes nues. La poitrine n’est pas frappée de la même interdiction. Les seins sont le prolongement, la continuité de l’amour de la mère à l’enfant. La belle s’exécuta et filant à toute allure se mit en devoir à ressembler à une Esmeralda fort convenable. Vêtue d’une jupe longue, d’un chemisier bouffant et bariolé, recouverte d’un calicot de soie rouge, elle revint au bal, entraînant dans son élan ses clients médusés et charmés. L’heure avançant, la salle s’étant vidée, les échos des rires et des chants résonnaient encore dans le parking et dans nos têtes. Des années plus tard, nous avons reçu des témoignages sur cette soirée improvisée ; le maire d’une commune voisine, ayant reconnu mon beau-père, regretta de ne pas avoir été, à l’époque, son ami, pour pouvoir participer de près à cette douce folie furieuse . Des témoignages crédibles font état de « réservations » avec l’ambiance de cette chaude nuit. Après nous être faits copieusement houspillés par le « Chantecler » local, qui nous reprochait de l’avoir empêché de dormir, et surtout, de l’avoir fait veuf en prélevant une poule de son harem, nous avons regagné nos pénates. L’aventure aurait pu se terminer sagement, mais la fin aurait manqué de panache. Nous circulions dans un fourgon FORD Transit tôlé et vous allez voir que ce détail a son importance. Le véhicule est dépourvu de vitres latérales et de hayon à l’arrière. Passablement éméchés et fatigués, nous nous sommes engagés dans une ruelle étroite d’un village vigneron, en forçant le passage à vive allure. Le véhicule étant plus large que la ruelle, je vous laisse deviner la suite… Le nez du FORD coincé entre les murs, impossible de reculer correctement, et pas possible de sortir par les cotés, ni par l’arrière. Ce sera notre «BED-FORD» … (encore un jeu de mot laid) Et c’est au matin qu’un brave agriculteur, en attelant son tracteur, nous a sortis de cette fâcheuse situation… . ©Philippe X – 25/01/2020 |
On sent la joie de vivre à chaque phrase de ce récit. L’entrée fracassante du Ford dans la ruelle : surréaliste … J’adore !
“La bohème… on était jeunes, on était beaux… et nous vivions de l’air du temps….”
Quelle belle histoire !
Merci Philippe pour le grand plaisir de vous suivre sur ces chemins…
Amitiés
Chantal