Mes années Collège – Ma Sixième Rose – Tome IX – Jean-Marie Audrain

Mes années Collège – Ma Sixième Rose – Tome IX

En arrivant en sixième, toujours à Sainte-Marie La croix d’Antony, un établissement réservé aux garçons qu’on appelait « jeunes gens ». En poussant la porte de la Sixième Rose (chaque classe avait un nom de couleur), j’imaginais bien que je n’aurais plus la Croix tous les mois, mais j’étais loin d’imaginer que j’aurai comme voisin et rival officiel un certain Dimitri, un authentique mongolien (« un russe du sud » disait-il) aux yeux aussi bridés que son sourire. Un regard qui semblait dire « ici c’est moi le plus fort ». En effet, Dimitri parlait peu mais brillait beaucoup. Ses notes visaient systématiquement non plus le 10/10 du primaire mais le 20/20 du collège et il effleurait régulièrement ce plafond.

Après monsieur Matter, mon maître de septième (actuel CM2), je découvrais tout plein de professeurs de ceci ou de cela. Des hommes surtout mais aussi des femmes, pour les langues (cela doit être leur spécialité ai-je pensé sans arrière pensée) et pour les disciplines manuelles et artistiques.

Un professeur (on disait prof ) a tout de suite marqué mon jeune esprit :mon professeur principal, monsieur Bottemer (on appelait tout le monde monsieur, frère marianiste ou laïc). Un petit homme en blouse blanche, les cheveux en brosse et au parler rapide et viril. Très autoritaire, il fut vite surnommé Bottecul. En une heure de cours, de derrière le tableau, il extrayait, affichait et commentait 3 ou 4 immenses cartes de France mettant en image son Histoire et sa Géographie. Cette heure se matérialisait fréquemment par huit pages à remplir dans notre cahier d’Histoire-Géographie (l’Education Civile et Morale était à l’époque le domaine de l’aumônier). Mais par bonheur on y collait de petites images à acheter obligatoirement à la librairie du collège et lycée. Cela faisait moins à y rédiger.

Depuis cette année, tous les ans, à la question du sondage obligatoire :« Quelle est votre matière préférée et pourquoi ? », je répondais : la géographie car cela sert tout de suite. Pour les vacances bien évidemment car tous les étés mes parents me faisaient découvrir deux régions de France avec des excursions dans ses pays limitrophes par la même occasion.

Mon prof de Math était un jeune breton : Monsieur Doaré. Il a réveillé le Sherlock en moi en me fascinant par la recherche des inconnues. Il fut mon prof’ jusqu’à la fin de la cinquième, soit à la date du débarquement des mathématiques à l’américaine appliquées à la géométrie plane.

Notre prof d’anglais était mademoiselle Ravet. Une jeune « vielle fille » qui nous a tout appris de la vie de John and Betty. Elle resta notre prof jusqu’à la troisième, étonnamment célèbre pour son jupon en dentelle qui dépassait régulièrement de sa jupe vintage . Moi j’ai plutôt gardé d’elle des nuits inoubliables, à apprendre et réciter les verbes et les pluriels irréguliers, et les comparatifs suivis des superlatifs.

Je n’ai finalement retenu qu’une blague sur l’adjectif « bad ». Pour le comparatif, un élève répondit « worse ». « Perfect » répliqua mademoiselle Ravet avant de demander à tous d’ajouter le superlatif. Appel aussitôt ensuivi d’un tonitruant « rotten ». Evidemment, tout le monde attendait « worst » et non ce mot signifiant « pourri ». Ma demoiselle Ravet devint rouge comme une tomate et en perdit souffle.

Nos cours de chimie et de physique se passaient à l’extrémité du bâtiment dans des labos dédiés avec des paillasses recouvertes de carreaux blancs. Courir jusque là créait une débandade des plus récréatives et des moins appréciées des surveillants d’étage. Quoique, le jeune monsieur Diniz pouvait difficilement masquer un sourire complice. Son supérieur, le bedonnant monsieur Assino, a dût plus d’une fois intervenir pour le secouer et le pousser à nous siffler…

Pour la gym (on ne disait pas encore EPS) on avait un super gymnase couvert avec des salles de hand et de basket. J’aimais tenir le jeu d’arrière pour protéger le goal qui était presque toujours Ananou qui était mon copain, mais qui m’aurait fait payer cher s’il s’était pris un ballon en plein pif…

On faisait aussi de la gym à l’extérieur. On commençait par faire plein de fois le tour du parc à moyennes foulées jusqu’à ce que retentisse le coup de sifflet. Gare à tes fesses et à tes oreilles si tu faisais un tour de plus ou de moins que les autres. Ensuite on faisait des exercices d’athlétisme. Chacun avait sa spécialité selon ses aptitudes physiques et mentales. Moi j’aimais surtout le javelot car j’aimais lancer loin, et là j’étais aux anges, car en tenant le projectile au bon endroit et de la bonne manière, et en allongeant le bras de toutes mes forces à 45 degrés ‘je visais la terrasse sur le toit du gymnase), je pouvais être sûr que je lancerais si loin que le prof serait obligé de me gronder si je n’allais pas le récupérer assez vite pour le suivant ; et pour tout vous dire je le lançais beaucoup plus loin que le poids ou que le disque.

Par mauvais temps, on faisait des exercices d’échauffement allongés par terre dans les couloirs. Chacun s’allongeait au pied d’un copain et le tenait les cheville à l’aide de ses deux mains. Il était question pour l’un de projeter ses pieds bien vigoureusement vers le visage du copain debout qui devait les repousser énergiquement, mais le copain qui était allongé n’avait pas le droit de retoucher le sol avec ses talons, sinon il fallait recommencer jusqu’à dix lancers de jambes sans défaillir.

Vous imaginez que ces exercices s’éternisaient et finissaient souvent en pugilat. Dans les mêmes couloirs on s’entraînait à courir le 100 mères-chrono de plus en plus vite ; on se serait bien assommé pour faire un centième de moins que son copain du couloir d’à côté.

Et savez vous que, cerise sur le gâteau, on avait une piscine toute neuve rien que pour nous. Un immuable rituel nous y attendait chaque mardi : vestiaire glacial, douche brûlante et petit bain à nouveau glacial avec obligation de passer une ceinture de flotteurs à la taille. Philippe, notre maître nageur, croisait les bras, quand il ne se frottait pas le maillot de bain, en nous lançant ordres et contre ordres : debout, allongé, prenez vos distances bras tendus, adossez-vous deux à deux etc etc. C’était un peu comme une récré dans l’eau !

On avait bien évidemment des cours de dessin (on ne disait pas encore arts plastiques) dans une immense salle vitrée située au dessus du bâtiment. Avec une fosse entourée de marches. La prof était au fond de la fosse et nous autour, vous visualisez la scène ? Elle nous expliquait ce qu’on devrait faire pendant les deux heures de cours, chacun dans un coin de salle sur de planches montées sur des tréteaux. Moi je faisais super attention de ne pas me mettre de la peinture partout car on ramenait nos blouses à la maison et c’était maman qui devait les laver.

Dans le sous-sol se déroulaient les cours de travaux manuels. Tous les trimestre il fallait que mes parents payent très cher le matériel (rotin, glaise, carton, clous etc). Un jour il n’ont pas pu payer et j’ai eu droit à un mot dans mon carnet de correspondance : « Les parents de Jean-Marie n’ayant pas payé leur cotisation, celui-ci passera les cours de travaux manuels en salle de permanence ».

En résumé, bras croisés en salle d’étude. C’était super convaincants pour me faire pousser mes parents à payer !

Je poursuivrai par les cours de Français : je m’y sentais comme un poisson dans l’eau.

Je me suis mis à dévorer de la 6eme à la 3eme tous les classique de poche Hachette , mes préférences allant vers La Fontaine, Rabelais et Molière. Je retenais facilement des fables de l’un et des scènes de l’autre. Je ne me souviens plus du nom de cette prof, mais j’ai encore en mémoire qu’elle était habillé comme les dames dans les films en noir et blanc avec un grand chignon et un air très digne.

Pour la musique, nous traversions tout le grand couloir du bâtiment pour grimper dans l’immense salle de Musique, le fief du PG (le Père Giraud). Nous étions obligés d’acheter une flûte à bec (il m’a conseillé une alto en bois verni de marque Aulos car j’étais déjà très bon en flûte Soprano en plastique). Il nous apprenait en même temps le solfège (que je pratiquais déjà au Conservatoire) et cela provoquait une cacophonie insupportable et des cris de mécontentement. Pour nous motiver, il nous faisait écouter des disques de flûte à bec, toujours de Jean-Sébastien Bach, le meilleur disait-il.

Je me souviens d’un jour où nous avions tant réclamé de la musique « d’aujourd’hui » qu’il nous en apporté un 45 tours, croyant nous en dégouter pour toujours. Manque de chance pour lui, nous avons tous adoré. Il s’agissait de It’s five O’clock des Aphrodite’s Child, chanté par Demis Roussos.

Toutes ces disciplines n’ont pratiquement pas changé lors des année suivante si ce n’est qu’en sixième seulement on avait pour aumônier le père Schmitt.

Le père Schmitt était un saint homme. Il variait les médias pour tout nous partager, avec sa voix tant bouillonnante que bourdonnante avec son bel accent alsacien. Il nous faisait écouter les chant de son ami l’abbé Wothké (La chanson du prisonnier, Etoile du matin) ; il alliait l’image (premiers diaporamas) à la parole (parfois chantée, souvent gestuée) et eut l’idée géniale de lancer un petit journal mensuel participatif au format A6 nommé « En direct ». On s’y abonnait pour la somme modique d’un franc. On pouvait lui proposer d’éditer tout ce qu’on avait envie de partager, même des bonnes blagues, ma spécialité. Aux récréations, on faisait la queue pour aller lui parler intimement voire se confesser;..

En dehors des heures de cours, j’avais tous les jeudis, puis mercredis après-midi l’année suivante, séances de chorale, la Manécanterie devenue Les Petits Chanteurs de Sainte Marie dirigée par le PG. J’étais content d’y chanter la voix alto car je n’aimais pas chanter la même chose que la majorité. Le dimanche on chantait à la messe à la chapelle du Collège et parfois l’après-midi on chantait à l’extérieur, ici et là.

Comme j’avais aussi des cours de solfège et de guitare au conservatoire, le PG écrivait souvent à mes parents pour leur faire le reproche de me laisser me disperser. La chorale était un engagement à plein temps. Heureusement que le PG n’a jamais su qu’après les cours, je prenais des leçons d’escrime.

Je crois pouvoir dire que mon inaltérable souvenir de Sixième rose sera la personne du père Schmitt : sa soutane noire, ses cheveux blancs en brosse et ses dents de la même couleur toujours démasquées par son sourire historique. Lui au moins faisait rire ma maman, alors que le PG la faisait pleurer.

De ma classe de Cinquième, Rose elle aussi, je ne dirai rien de spécial car c’était comme la seconde saison de ma Sixième Rose. Mêmes profs, mêmes copains, juste la salle d’à coté.

Ainsi s’acheva ce que l’on nomme aujourd’hui mon cycle d’observation. Paradoxalement je n’ai senti personne m’observer. C’était moi qui épiais tout le monde dans le moindre détail.

Nombre de Vues:

47 vues
Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (509)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

S'abonner
Me notifier pour :
guest

2 Commentaires
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
Grant Marielle
Invité
14 novembre 2020 4 h 47 min

Quel plaisir Jean-Marie de lire ce récit de ta sixième rose! Je me suis bien amusée de tes nombreuses touches humoristiques et je constate qu’on vous tenait occupés à souhait! Particulièrement avec les cours de gym! Et tes goûts en littérature et en musique étaient déjà bien implantés !