LXVII – Mais où est donc passée Patou ?
Par les uns elle se faisait appeler Patou, par les autres Paty, pour sa patronne elle restait Patricia, employée modèle au Carré Blanc de Vesoul dont la vitrine resplendissait de ses propres installations, juste en face de chez elle, de l’autre côté d’une rue très étriquée.
Patricia se présentait toujours comme membre de l’église de Mario, le pasteur d’une des églises évangéliques du quartier. D’après ses dires, celui-ci était considéré comme un gourou infaillible et divinement inspiré. Il m’était bien difficile d’en démêler le crédible de l’imaginaire. Il n’en reste pas moins vrai que Patricia a souffert de deux cancers des seins, dont un avec mastectomie partielle, et que l’un aurait été guéri par la prière de son pasteur et l’autre régénéré par sa propre prière. Elle n’hésitait pas à le prouver de visu comme sur cette photo.
Je lui ai dit, assez tôt, qu’elle était une femme fine et intelligente, et que je ne comprenais pas qu’elle laisse ce Mario penser à sa place et tout lui dicter.
Nous avons découvert ensemble plusieurs églises catholiques dans lesquelles elle n’avait jamais osé pénétrer à cause de l’anathème jeté par Mario sur les statues de saints. Elle a été, elle-même, étonnée d’y ressentir une grande paix et aucune gêne, même si lever et mouvoir les bras vers le ciel en chantant à tue-tête lui manquait.
En privé, Patricia et moi étions à cent pour cent sur la même longueur d’onde et chaque minute partagée me comblait de joie. Nous avons connu ensemble la naissance d’Instagram et de premières applications de montage. Elle ne se privait pas de mêler nos deux minois sur le même cliché car c’était une artiste née qui maîtrisait très vite à tout ce qu’elle découvrait. C’était également une maîtresse de maison hors pair, un savoir-faire doublé d’une délicatesse et assortie de goûts des plus raffinés. En un mot, la femme idéale.
Nous avions l’impression de nous connaître depuis une éternité à tel point tout ce que nous découvrions l’un de l’autre semblait une évidence, un présentiment, une révélation d’un négatif qui n’attendait qu’à s’exposer à la lumière.
Patou ou Paty aimait énormément la nature, dont les animaux et tout spécialement son adorable Yorkshire, Baggy, qui le lui rendait bien. Lors de nos promenades elle révéla également une étonnante complicité avec la flore et aimait se mêler aux plus jolies fleurs des bords de route.
Elle me disait souvent ne plus imaginer sa vie sans moi à ses côtés tant nous jubilions de toutes ces convergences et de chacun de nos partages quotidiens.
Pourtant, lors d’un de mes retours à mon domicile, elle m’apprit qu’elle avait changé d’église et que son nouveau pasteur lui avait enseigné que le culte catholique était diabolique. Elle chercha donc refuge auprès d’évangélistes partageant la même conviction et rencontra ainsi Julien, un canadien qu’elle avait enflammé sur les réseaux sociaux. Quand il vint la visiter, le torchon s’embrasa très vite. Patricia lui rappela qu’avoir des rapports sexuels avant le mariage était interdit par la Bible et conduisait tout droit en enfer. Elle lui accorda le droit de dormir avec elle et de se laisser aller à l’exception de ce qui, selon son pasteur, devait être symbolisé par croquer la pomme interdite : l’acte qui conduit à la procréation. Patricia lui concéda cependant le droit de se « soulager » avec la lingerie dont il venait de la dévêtir, ce qui n’était pas interdit par son pasteur, vu qu’il n’avait jamais évoqué ce palliatif. Non seulement cela ne le calma pas, mais à partir de ce jour, cet homme révéla un tout autre visage et se mit à insulter jour et nuit Patricia, toute sa famille, et même son pasteur.
Patricia fut obligée de le renvoyer chez lui après quinze jours de corrida. Elle se retrouva seule et sous la dépendance totale de ce pasteur qui l’envoya en croisade contre les catholiques taxés de satanistes.
Le Grâal qu’elle y gagna fut, de ma part, un adieu ferme et définitif non négociable. Dès lors, elle a disparu de tous les réseaux sociaux, sûrement vaccinée contre tous les Julien de la planète.