Les années ont passé par le chas d’une aiguille
Brodant au fil d’argent nos amours les plus belles,
Les plus sombres rapiécées au fil noir des guenilles,
Formant un patchwork, qui à tous nous révèle !
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La vie que l’on mena est comme une dentelle,
Avec des hauts, des bas, et des joie, et des peines,
Des cieux azuréens ou des neiges éternelles,
Le fil ombilical en tous lieux nous emmène !
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Nous avons adoré les cœurs d’or et satin,
Et les très longs baisers sous l’écharpe de laine,
Adhérant aux mensonges que débitent les catins
Qui se meuvent presque nues en robes arachnéennes !
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Le curé en étole souvent nous alpagua,
Dans son confessionnal aux rideaux de velours,
Et nous nous calfeutrions dans nos vestes d’alpaga
Débitant nos péchés que l’on croyait trop lourds !
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Les bigotes ne portaient pas de robe d’organdi,
Mais nous lorgnaient d’un œil des plus sombres qui soient,
Comme des malotrus, voire comme des bandits,
Et aux pailles du prie-Dieu craquaient leurs bas de soie !
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Puis le curé sortait dans sa robe de batiste,
Courbé comme un bossu sous le poids de nos fautes,
Il allait tout de go prier Jean le Baptiste
Qui dans l’église était l’un de ses meilleurs hôtes !
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Pour se rendre à l’autel, un tapis de laine vierge,
Passait dessous la croix du Bon Dieu crucifié,
Qui semblait faire de l’œil à la pure Sainte Vierge,
Car un homme reste un homme quand bien même supplicié !
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Nous sortions de l’église absous de nos péchés,
Le ciel un peu jauni tendait ses draps de lin,
Comme un linge mal lavé qu’on a mis à sécher,
Laissant juste transparaître un soleil opalin !
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Heureux comme des gosses, sereins comme des pinsons,
Nous marchions dans la neige au blanc manteau d’hermine,
Des guirlandes de givres décoraient les buissons,
Et le froid, et la bise nous donnaient bonne mine !
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Les chaumières torsadaient leurs fumées jusqu’aux cieux,
Tandis que des congères s’amoncelaient en tas,
Comme des pardessus mouvants et disgracieux,
Nous eussions préféré des robes en taffetas !
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Les toits de tuiles s’ourlaient de pelisses de ouate,
Dont la souplesse rappelle un tissu d’étamine,
Et des chéneaux pendaient des stalactites droites,
Comme des perce-neige aux roides étamines !
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Parfois, quand elles tombaient du toit, perçant la neige,
Nous évitions leur chute en faisant un crochet,
Puis nous poussions la porte repeinte en gris beige,
Et maman délaissait son ouvrage au crochet !
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Quand sonnait l’heure bénie de la sortie d’école,
Nos sarreaux de coton battaient sur nos rotules,
Et les petites filles qu’on prenait pour des folles,
S’enfuyaient devant nous dans leur robe de tulle !
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Nous courrions comme des cerfs à leurs derniers abois,
Traversant les grands bois les plaines et les collines,
Les lèvres violacées comme un homme qui boit,
Les cheveux plus légers que soie et mousseline !
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Le cordon de la vie n’est pas fait de coton
Mais plutôt de ce chanvre réputé inusable,
Que l’on trouve toujours en tête du peloton
Se dévidant hélas à des fins misérables !
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La troupe de badauds en costume de serge,
Suit le moine portant une robe de bure,
Et les larmes de douleur n’éteignent pas les cierges,
Quand bien même les dos font de pieuses courbures !
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Si l’enfer existait nous manquerions d’étoffe
(Pour rejoindre ses brocards aux flammes trop ardentes)
Nous écririons sur lui de bien vilaines strophes,
Comme jadis l’a décrit le sieur baptisé Dante !
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Lorsque la nuit viendra, en costume de deuil,
L’on voudrait mieux en brasses traverser le Channel,
Voir une dernière fois ces femmes qu’on effeuille,
Habillées en Balmain ou en Coco Chanel !
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©Daniel Marcellin-Gros –
“Les années…en tissus…” janvier 2019