LE JOUR OU JE DEVINS FEMME
Le destin voulu que quelques temps après avoir coupé mes longues nattes de petite fille, je devins femme. Je n’avais pas douze ans. Ma grand-mère avait pressenti l’affaire, et bien sûr, comme cela se faisait, ne m’en avait pas dit un mot.
J’avais bien vu moi, depuis longtemps, ces grandes bassines rouges de sang et de couches de femmes, qu’à l’époque elles se lavaient, mais les enfants que nous étions ne posaient pas de questions.
Le jour où ça m’est arrivé, j’ai cru mourir. Il y avait devant mes yeux des flocons de neige qui tourbillonnaient et j’avais la tête qui tournait. Je donnais la main à ma tante pour ne pas tomber ; elle m’accompagna aux toilettes, et resta derrière la porte.
Je voyais des flots de sang -du moins le croyais je- qui sortaient de moi et je crus que j’allais me vider. Je criais à ma tante : « Marraine, ça coule ! Ça coule beaucoup ! Je vais mourir ! » « mais non, ma chérie, me dit-elle, c’est pour toutes les femmes pareil, ne t’inquiète pas ! »
Enfin, au bout d’un moment, je ressortis des toilettes, un coton entre les jambes, pas fière du tout, consciente que ma vie de petite fille allait basculer. J’aillais entrer dans le monde des femmes.
Je n’avais pas envie, moi, de laisser cette insouciance, tout ce bonheur, tous ces rires, ces jeux avec ma cousine. Pas envie de laisser la main tendre et solide de ma grand-mère, et celle, rugueuse de mon grand-père.
Mais avec l’arrivée des règles, une sorte de honte m’avait envahie, surtout vis-à-vis des hommes adultes. Il me semblait qu’on ne me voyait pas de la même façon maintenant, qu’on voyait en moi une « puissance » de maternité, de perte d’innocence, le péché originel qui ressortait, en quelque sorte.
A cette époque où l’on taisait les choses naturelles de la féminité, je me serai presque excusée d’être née femme, d’être souillée par ce sang. Pourrais-je encore monter dans le camion , sarcler la terre du jardin, tirer le vin à la cave, accompagner mon grand-père aux champs ? N’allais-je pas me retrouver aux casseroles et à la vaisselle avec ma grand-mère ?
J’allais sortir une fois de plus du ventre familial que je ne voulais pas quitter. Je pressentais une deuxième naissance très douloureuse dans un monde d’adultes.
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Mais ceci n’est pas la fin de l’histoire : car, en effet, quand arriva l’âge de la ménopause, et que je vis mes règles disparaître peu à peu, je fus infiniment triste, parce qu’entre temps, j’avais été une femme à part entière, j’en avais pris conscience.
Cette fois-ci, j’allais perdre ma féminité et loin de me réjouir de la disparition de ce petit désagrément mensuel, je compris qu’une autre étape allait commencer : celle de la perte progressive de ma jeunesse. Et quand je vois aujourd’hui, à l’automne de ma vie, une jeune femme qui achète des serviettes, je la regarde avec envie.
merci Loupzen et Christian, bien sûr qu’un homme peut comprendre, mais ne peut pas connaître ce passage vers la féminité et l’autre vers l’âge mûr que nous ressentons, nous les femmes, chacune à notre façon, il y en a qui se rèjouissent de se “débarrasser” de cette contrainte mensuelle. Moi non, il me semble que j’ai perdu qq chose.
Pour un homme il est difficile de commenter …ce qui ne m’empêche pas d’apprécier votre ouverture d’esprit…respect pour toutes les femmes qui sont, qui furent et qui seront.
Un fort joli texte Marie tout en sensibilité et en force. Oui, même un homme peut comprendre…