L’auguste et la petite fille – Alain Salvador

image du net

 

Les yeux fixés sur ses longues chaussures noires, son faux nez rouge toujours en place sur sa face aux contours exagérés, il avance d’un pas lent vers sa caravane, le visage triste dissimulé sous un maquillage allègre mais oh combien trompeur.

Une veste rouge trop grande, un pantalon vert trop large, un nœud papillon démesuré jaune à pois noirs,  ah il a fière allure le clown dans ses fripes aux couleurs bigarrées !  

Mais ce soir curieusement ses vêtements ne le gênent pas, il ne se précipite pas pour les enlever, il erre comme perdu dans un autre monde , submergé par toutes les émotions qui l’ont écrasé.

Il est là à traînasser, les bras ballants, dans la nuit à peine éclairée par la lumière de quelques spots orientés vers l’entrée du chapiteau , où ce soir sa représentation lui a laissé une étrange sensation.

Pourtant tout avait bien commencé avec son partenaire le clown blanc, son ami de toutes les joies comme de toutes les galères, de qui il se moque toujours quand il le voit apparaître devant lui « sa coquille d’œuf plantée sur la tête »… Une plaisanterie qui les amuse depuis si longtemps, mais qui ne fait plus rire qu’eux deux.

Un frère de scène avec qui il se produit depuis tant d’années, dans toutes les villes et villages de France qui veulent encore bien accueillir ce petit cirque très modeste , qui semble déjà appartenir au passé… Une autre époque…

Les enfants riaient aux éclats, les parents souriaient, certains même s’éclataient en parfaite union avec leurs bambins, les pitreries s’enchaînaient les unes après les autres. Son compagnon de spectacle jouait bien son rôle moralisateur, tout se déroulait à merveille, jusqu’à ce …

Ce moment où son regard croisa les yeux pleins de joie d’une fillette. Elle ne devait avoir qu’une dizaine d’années, ses cheveux un peu roux reflétaient la lumière des projecteurs… Roux comme il l’était… Mais ce qui l’interpella fut cette petite ombre à son menton, ce creux de fossette qui la faisait se démarquer des autres enfants. Et cette petite chose si particulière lui a soudain rappelé… Un frisson , un coup d’œil rapide sur la personne qui devait être sa maman… Elle était là… Il l’a bien reconnue, malgré les années passées.

Toutes deux étaient si près qu’il aurait pu les toucher en tendant les bras. Dès cet instant le trouble s’empara de lui…

Pour notre amuseur le temps s’était soudain arrêté, les horloges figées dans le grand frisson qui venait de lui parcourir le corps de la tête aux pieds.

Son compagnon de toujours s’était bien vite aperçu de son malaise, il le connaît si bien depuis le temps qu’ensembles ils font voler la poussière de la piste et déclencher les rires par leur spectacle burlesque.

Avec sa coquille d’œuf sur la tête en guise de coiffe, il a bien essayé de remettre la machine en route ! Cause perdue, il le savait qu’il devrait assumer tout le reste du numéro à lui seul s’il ne pouvait le sortir de sa torpeur, mais ne lui en voudrait pas.

Sans trop se rappeler comment s’était terminée sa pitoyable prestation, le voici maintenant assis sur le marchepied de sa petite maison ambulante, l’air désemparé, le regard fixant au loin les spectateurs désertant le chapiteau rouge et blanc, cherchant désespérément du regard cette petite fille; comme si de loin il aurait pu la reconnaître, entre les projecteurs donnant aux visages des allures de fantômes et les ombres étirant sur le sol les silhouettes d’une gent pressée de quitter un monde féerique pour retourner dans la monotonie de leur vie quotidienne…

Tout ce dont il se souvient de cette soirée, c’est de cette enfant qui ne pouvait être que sa fille, de sa maman qui fut écuyère dans ce cirque, il y a… Dix ans déjà, avec qui il avait eu une relation amoureuse trop brève, dans une roulotte de clown, la sienne, qui lui laisse depuis lors un goût amer, un parfum de regrets.

Puis cette douleur lui revint, la même brûlure qu’au jour où elle l’a quitté pour un beau trapéziste, lui disant que s’il était marrant, il n’était pas très beau, pas un bon amant.

Ces jours de malaise quand il les croisait dans ce microcosme qu’est un cirque, ne pouvant les éviter. Jusqu’au jour où ils sont partis pour un autre cirque. Non, il ne faut pas croire que sa douleur s’en est allée avec eux. Il la voyait encore là au moins, tout en gardant un secret espoir…

_____________

 

Une main posée sur son épaule le fait sursauter… Il lève les yeux… Un homme est là, tel un cierge géant dans son habit de lumière, au visage blanc coiffé d’une coquille d’œuf… Son ami est venu le saluer…

« Viens » lui dit-il, « deux personnes t’attendent dans ma roulotte ».

La suite, je vous laisse l’imaginer… Je vous dis seulement que plus jamais notre clown ne fut triste.

 

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Alain Salvador

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Je suis né en 1956, et ai toujours eu le goût pour l’écriture.
Cependant je n’ai fait aucunes études , ni de lettres ou autre chose de bien gratifiant.
Je n’ai qu’un CAP de mécanique en poche et ma vie passée en usine , ma famille avec mes trois enfants, font que depuis ma retraite, j’ai repris du temps pour me consacrer aux mots.
On pourrait dire de moi que je suis plutôt un autodidacte.
Les quelques personnes à qui je fais lire mes textes me disent que j’ai une facilité d’écriture.
A ceux-là je leur réponds: ”ce n’est pas toujours aussi facile qu’il y paraît… ” Et pour l’orthographe, et bien je révise les règles…Il n’est jamais trop tard si l’on veut entreprendre quelque chose dans sa vie.

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11 Commentaires
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Colette Guinard
Membre
30 octobre 2021 10 h 22 min

Derrière ce masque porteur de rires et de pleurs,
C’est un clown qui rit et qui pleure mais qui retrouvera le sourire avec cet enfant! Bonne journée !

Martyne Dubau
Membre
29 octobre 2021 22 h 58 min

une histoire bien menée avec ce qu’il faut de tristesse, d’amour perdu, d’attentes déçues et d’émotion
un trés beau portrait de ce clown attachant et déboussolé qui sombre dans la solitude !
cette enfant lui rendra-t-elle la joie de vivre ?
Vous le saurez dans le prochain épisode de :
((L’auguste et la petite fille ))
prochainement sur cet écran !