Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?
Moi qui suis de ta création le premier-né
Je fus dès le commencement à tes côtés
Lorsque les étoiles tu te mis à compter
Tu m’appris à faire jaillir de la fournaise
Les cieux et la terre à l’aube de la Genèse
Tu me dis alors: “Que la lumière paraisse!”
“Et que les ténèbres pour un temps disparaissent!”
Pour accomplir tes desseins, tu guidas ma main,
Nous fîmes le premier jour et son lendemain
Il y eut un soir et il y eut un matin,
Que notre œuvre fut bonne, nous étions certains
Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?
Moi à qui en premier la vie tu as donnée
Qui étais présent lorsque tu as décidé
De bâtir ce grand univers à ton idée
Tu déclaras: “Faisons un homme à notre image,
Donnons-lui la faculté de nous rendre hommage
Et aux fins de lui enseigner à être sage
Plantons un arbre de la vie dans son passage!”
Mais celui que tu avais élevé trahit;
Avec ruse, il parla à la femme ébahie
Elle mangea et en donna à son mari
Le soir venu, devant toi ils étaient marris
À ce défi je criai: “Qui est comme Dieu?
Qui donc a osé commettre ce crime odieux?
Insensé! Que crois-tu donc pouvoir faire en lieu
De celui qui fait pousser l’arbre du milieu?”
“La femme que tu m’as donnée pour complément
Alors que je me trouvais ailleurs un moment
Cueillit un fruit et y croqua à pleines dents
À la suite de quoi me fit mordre dedans.”
“Pour cultiver la terre, tu affanneras
Et pour gagner ton pain, ta sueur coulera
Dans beaucoup de douleur, ta femme enfantera
Tous les jours de sa vie, tu la domineras.”
Ainsi tu avais prononcé ton jugement
Il restait à prouver que jamais tu ne mens
Mais que pour le juste, tu es compatissant
Et que de tous les dieux tu es le seul puissant
Alors c’est décidé: Je descendrai sur terre
Je serai sans armes ni forces militaires
Je laverai l’affront qui est fait à mon Père
Par ses opposants, le grand serpent et ses pairs
Mon Dieu, mon Dieu, tu ne m’as pas abandonné!
Tu me guidas dès que je fus un nouveau-né
Lorsque le grand désert je voulus traverser
Ton esprit tu ne te retins pas de verser
Je n’avais pas de maison, ni même une tente
Ceux qui me suivaient n’étaient pas plus de septante
Sur les montagnes, dans la ville ou dans les champs
Ils se réjouissaient de la fin des méchants
Mon Dieu, mon Dieu, je suis pendu, mais j’ai vaincu
Je n’ai cédé, ni au renom, ni aux écus
De ce calice, chaque goutte j’aurai bue
Tout en restant aussi fidèle qu’au début
Aujourd’hui, le perfide s’est déshonoré,
Lui qui avait promis un avenir doré
Aux infidèles et à leur postérité
Peu de temps il lui reste, ses jours sont comptés
Mon Dieu, pour trois jours et deux nuits je vais dormir
On voudra m’enduire d’aloès et de myrrhe
Puis tu me rappelleras à ton souvenir
En premier des morts, tu me feras revenir
Mon Dieu, quand je serai de nouveau près de toi
Assis à ta droite, sans que je m’apitoye
Je chasserai celui qui voulut être un roi,
Je lierai ton adversaire avec des courroies
Mon Dieu, par ce cri, je te remets mon esprit
Auparavant, pour ceux qui m’ont suivi je prie
Père, ne les abandonne pas quand ils crient
Que s’accomplisse à présent ce qui fut écrit