Le vieil homme – Marie-Hélène Coppa

inspiré d’un fait réel

La maison de Monsieur Leroy se situe à l’entrée du village. Lui et son épouse en avaient fait l’acquisition presque quarante ans plus tôt. Le couple y coulait des jours heureux depuis leur retraite. Pourtant un jour, alors que rien ne laissait présager un tel drame, Madame Leroy apprit qu’elle était atteinte d’une maladie incurable. Elle s’éteignit quelques mois plus tard laissant son époux dans un profond désarroi.

Le couple n’avait pas eu d’enfants et Monsieur Leroy se retrouva seul avec ses deux chiens comme uniques compagnons. Ces petites bêtes furent donc son unique réconfort et on pouvait le voir les promener chaque jour dans les rues du village. Quand il rencontrait des habitants il prenait plaisir à échanger avec eux, c’était un homme très apprécié et cultivé. On le surnommait « le poète ».

Pourtant un jour, l’un de ses chiens mourut suivi de l’autre quelques temps plus tard. À partir de ce moment, Monsieur Leroy devint taciturne et ne sortit presque plus de chez lui. Son jardin n’était plus entretenu et sa maison non plus. Des voisins lui proposèrent bien de l’aider mais ils se heurtèrent très vite à son caractère qui avait beaucoup changé en quelques mois.

  • Je n’ai besoin de personne. Je veux qu’on me laisse tranquille.

Respectant ses volontés les voisins n’osèrent plus se manifester. Les rares fois où on pouvait l’apercevoir dans sa petite cour, ils se rendaient bien compte qu’il n’était pas en bonne santé. Il s’aidait désormais d’un déambulateur pour se déplacer. La seule personne qu’il contactait par téléphone  en cas de besoin était une vieille fille du village qui habitait  à une centaine de mètres. Elle lui apportait ses courses et son courrier disposant d’un budget qu’il lui remettait chaque mois dans une petite enveloppe déposée sur le rebord de la fenêtre. Mademoiselle Victoire posait les paquets et le courrier devant sa porte, bien souvent sans même apercevoir Monsieur Leroy.

Les rumeurs allaient bon train, certains se surprenant à penser :

  • À force de s’isoler comme ça, un jour on le retrouvera mort ! Comment un homme si gentil et si brave a-t-il pu en arriver là ?

Au début son médecin passait le consulter, mais ses visites devinrent de plus en plus compliquées :

  • Monsieur Leroy il faut vous soigner, vous êtes diabétique et vos ulcères ne guériront jamais si vous ne faites rien
  • Fichez-moi la paix
  • Laissez-moi au moins demander à l’infirmier de venir faire vos pansements !
  • Ecoutez, vous êtes sourd ? Je vous dis que je ne veux plus voir personne. Je veux avoir la paix, point barre !
  • Je vais quand même vous prescrire une ordonnance et Victoire ira à la pharmacie. Je ne peux pas vous laisser dans un tel état. Si vous continuez comme ça Monsieur Leroy vous finirez par être amputé. C’est ce que vous voulez ?
  • Dehors je vous dis, DEHORS !

Devant le comportement colérique de son patient et bien malgré lui, le médecin laissa Monsieur Leroy. Impossible de lui faire entendre raison. Après tout il ne pouvait le contraindre à se faire soigner.

Ce fut sa dernière visite, car il ne revit jamais Monsieur Leroy vivant.

 

L’hiver était arrivé. Il faisait particulièrement froid ce matin-là. La campagne s’était réveillée sous une épaisse couche de gel. Les rues du village étaient désertes, chacun restant bien au chaud.

Depuis une semaine Victoire n’avait plus eu d’appel de Monsieur Leroy. Elle se décida à se rendre sur place. Après avoir toqué à la porte, elle n’obtint aucune réponse. Elle se mit alors à tambouriner :

  • Monsieur Leroy c’est Victoire, que se passe-t-il ? répondez !

Le silence pesant régnant à l’intérieur de  l’habitation l’inquiéta immédiatement. Elle composa le numéro de la gendarmerie sur son portable. Moins de trente minutes plus tard elle aperçut le gyrophare de la voiture des gendarmes.

Ils étaient deux :

  • Que se passe-t-il Madame ?
  • C’est mon voisin, il est âgé, malade et ne répond pas. Ce n’est pas normal
  • Ne bougez pas et restez ici. Auriez-vous une clef ?
  • Ah non, Monsieur Leroy ne me l’a jamais donnée.

 

Les deux hommes se trouvèrent contraints de se frayer un chemin dans l’allée afin de parvenir à la porte d’entrée :

  • Mais qu’est-ce que c’est ce bordel, il y en partout, précisa l’un d’entre eux épouvanté devant une telle incurie.

En effet des tas d’ordures trainaient par-ci par-là.

Vu l’état de la bâtisse les gendarmes s’étonnèrent qu’une telle maison puisse encore être habitée.

Après avoir violemment frappé à la porte et n’obtenant aucune réponse, ils n’eurent d’autre choix que de tenter de la défoncer. En réalité elle était si vermoulue qu’elle céda presque immédiatement.

À peine étaient-ils entrés dans les lieux que leurs narines furent immédiatement  incommodées par une odeur pestilentielle. C’était insoutenable, tant est si bien que l’un des gendarmes sortit en hâte et se mit à vomir. L’autre apparemment plus téméraire se boucha le nez et inspecta la pièce. Ce qu’il découvrit était innommable. Un capharnaüm épouvantable. La table était recouverte de boites de conserves, de bouteilles vides, de cartons non déballés, de prospectus etc. Quelques minutes plus tard son collègue le rejoignit et ne put que constater lui aussi l’étendue de l’état de délabrement de la maison. Le sol en terre battue était mouillé et leurs chaussures pataugeaient dans l’eau. Il leur apparut évident que l’habitation n’était plus chauffée et que les tuyaux d’eau avaient cédé suite au gel de ces derniers jours. Ils se hasardèrent jusqu’à une porte fermée, et ce qu’ils découvrirent en l’ouvrant, les laissa tétanisés.

Monsieur Leroy gisait sur un fauteuil auprès de son lit, lit lui aussi recouvert d’immondices, et sur lequelvraisemblablement il lui était devenu impossible de s’allonger. Les gendarmes contactèrent aussitôt un médecin qui vint constater le décès. Le vieil homme était bel et  bien mort, et depuis au moins une semaine. Ses jambes violacées étaient dans un état déplorable rongées par la gangrène.

Il avait la tête penchée, et sur ses genoux gisaient deux photos, l’une de son épouse et l’autre de ses chiens. Cette vision morbide était triste à pleurer. Monsieur Leroy se serait-il laissé mourir pour rejoindre définitivement les êtres qui avaient le plus compté dans sa vie ? Cela apparaissait comme tout-à-fait plausible.

Les pompes funèbres arrivèrent bientôt sur les lieux et se chargèrent de retirer le corps de Monsieur Leroy afin de l’emmener à la chambre funéraire.

Dans le village la nouvelle de la disparition de Monsieur Leroy se répandit très vite. Tous furent très choqués de n’avoir rien pu faire pour éviter un tel drame. Mais comment venir en aide à quelqu’un qui ne le souhaite pas ? Ils se sentirent tous impuissants mais durent se résoudre à accepter la triste réalité.

Le bon vouloir de chacun n’aurait rien changé à la décision du vieil homme, bien décidé à quitter ce monde dans le plus strict anonymat.

Le comble de cette sombre histoire est que personne ne put retrouver la famille de Monsieur Leroy. Aucun document chez lui, pas de livret de famille, RIEN !

Quelques semaines plus tard le temps légal étant désormais expiré, les pompes funèbres ne purent conserver plus longtemps la dépouille du défunt.

Un notaire désigné par la commune leur octroya  une somme minimum afin de pouvoir le mettre en terre. Personne ne sachant à ce jour où se trouve la sépulture de son épouse, c’est donc à dix heures un jeudi que Monsieur Leroy fut inhumé dans le petit cimetière de son village. Seuls étaient présents quelques voisins et le maire. Aucune cérémonie, pas de discours, rien, juste un signe de recueillement des quelques personnes présentes devant le cercueil. Son cercueil fut déposé directement en terre,  et une plaque de marbre noire scella définitivement le caveau.

C’est ainsi que Monsieur Leroy repose désormais, seul, comme il avait vécu les dernières années de sa vie. Sans doute un jour l’un de ses descendants se manifestera enfin, mais pour l’heure,mis à part les gens du village personne d’autre n’est au courant de la disparition du vieil homme.

Le jardin de Monsieur Leroy continue de s’épanouir comme si rien ne s’était passé, envahi par les ronces et jonché de détritus. À l’approche du Printemps les arbres commencent à bourgeonner, et crocus et jonquilles y poussent miraculeusement. Sur la grille d’entrée désormais fermée par une chaine, on peut remarquer trois petits sacs de plastique suspendus, sacs qui contenaient il y a bien longtemps des boules de graisse pour les oiseaux, vestiges de l’âme poétique et généreuse de ce pauvre Monsieur Leroy.

 

FIN

 

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