« C’est la Vénus noire qui hanta Baudelaire. »
André Levinson, Comœdia, octobre 1925
Joséphine McDonald, qui garda le nom du deuxième de ses maris épisodiques : Billy Baker, fut une chanteuse et une danseuse de revue d’une renommée internationale. Elle fut aussi une femme de cœur grandie par son combat dans la Résistance, son combat contre le racisme et sa lutte pour sauver les douze enfants de toutes les origines qu’elle adopta.
Née en 1906 à Saint-Louis du Missouri, dans la plus grande pauvreté des quartiers noirs, d’une mère blanchisseuse et d’un père incertain (un Blanc, peut-être, car elle a les caractères physiques d’une métisse) et malgré la précarité, les adoptions obligatoires et malheureuses, Joséphine reste gaie, joyeuse, douée pour la danse et le chant. C’est pourquoi, à 16 ans, elle intègre la troupe de Shuffle Along (littéralement avancer lentement, en traînant les pieds), la première comédie musicale noire écrite par Eubie Blake où elle se fait remarquer si bien qu’en 1924 elle est engagée au Plantation Club de Broadway : elle y danse le charleston et joue les entraîneuses.
Sa chance prend le visage de Caroline Dudley qui cherche des artistes noires pour le Théâtre des Champs-Élysées où Rolf de Maré envisage de montrer une Revue Nègre. Choisie, Joséphine débarque au Havre puis gagne Paris en 1925. Entre Paris et elle, c’est le coup de foudre et elle fait merveille dans La Revue Nègre. Son corps splendide simplement vêtu d’une culotte de satin garnie de strass, d’une ceinture de plumes et d’un double rang de perles, les cheveux gominés (Bakerfix), elle s’y déchaîne et triomphe.
« Sa taille se renverse,
Se relève aussitôt.
On dirait une liane que berce,
Un souffle de vent chaud. ».
Elle amène avec elle la nouveauté du jazz, et le rythme saccadé de ses danses exprime l’âme de ces « années folles » nées de la frénésie de tous les échappés du massacre. Elle va servir de modèle à l’affichiste Paul Colin, à Von Dongen et à Foujita. En 1926, Paul Derval l’engage aux Folies Bergère et elle devient une des déesses du Paris de la nuit, un peu extravagante ; une rivale pour Mistinguett. Elle vit, entre 1925 et 1927, quelques mois « d’une intense passion » avec Georges Simenon. Elle ouvre, rue Fontaine, une boîte de nuit, à l’enseigne de « Chez Joséphine » puis elle part en tournée en Europe et en Amérique du Sud.
À son retour, accompagnée de Guiseppe Abatino (qu’elle appelle « Pepito ») son nouvel amant et son manager, elle décide de reprendre sa place à Paris grâce à la chanson. Elle fait appel à Vincent Scotto qui lui offre deux chansons qui feront le tour du monde : « J’ai deux amours » :
« J’ai deux amours
Mon pays et Paris
Par eux toujours
Mon cœur est ravi »,
et « La petite Tonkinoise ».
Pepito lui conseille de faire du cinéma. Entre 1927 et 1940, elle apparaîtra dans une dizaine de films. Les principaux étant Zouzou de Marc Allégret (1934) avec Jean Gabin (elle y est ravissante et Gabin lui chante « Viens Fifine ») et Princesse Tam-Tam d’Edmond T. Gréville en 1935 où elle joue le rôle d’une jeune Arabe : amenée à Paris par un écrivain, elle y fait du music-hall, lance la Conga, une danse cubaine, puis déçue retourne dans son pays… Une ineptie, sauvée par Joséphine et ses chansons !
Après ce film et bien que le couple batte de l’aile, Pepito a une autre idée. Il signe un contrat pour Joséphine aux Ziegfeld Follies, le fameux cabaret de New York. Hélas, les Américains n’apprécient guère cette danseuse noire, et ce racisme évident provoque une querelle entre Joséphine et son manager. Lequel rentre en France pour y mourir d’un cancer du foie. Alors, la peine et les remords de Joséphine ne sont pas feints, mais le spectacle continue. En 1937, elle rentre à Paris où elle se produit aux Folies Bergère dans une revue que le public ovationne. Colette lui consacre un article somptueux dans le quotidien Le Journal (12 octobre 1936) qu’elle reprendra dans La Jumelle noire et qu’elle conclut ainsi : « Paris ira voir, sur la scène des Folies, Joséphine Baker, nue, enseigner aux danseuses nues la pudeur. »
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En 1937, selon Jacques Pessy, Joséphine rouvre, un temps, face au café de La Belle Ferronnière, Le Gerny’s rue Pierre Charron, l’ancien cabaret de Louis Léplée qui lança Piaf et fut assassiné. Et, le 30 novembre de la même année, elle épouse Jean Lion, courtier en sucres, obtenant de ce fait la nationalité française. Il essaie de la maintenir loin de la scène. Elle est enceinte, mais elle fait une fausse couche ; cela brise le couple qui divorce en 1939 ; l’année même où elle interprète une de ses plus jolies chansons : « Sur deux notes » de Paul Misrati.
« Sur deux notes
Je te dis que je t’aime
Sur trois notes
Je te donne mon cœur. »
Dès que la guerre éclate, Joséphine Baker, plus française que les nombreux sympathisants de l’Allemagne hitlérienne, devient membre des services secrets de la France Libre. Malgré de graves ennuis de santé (péritonite, occlusions intestinales), elle recueille, partout où elle se produit, de précieux renseignements. En 1943, le général de Gaulle lui remet une petite Croix de Lorraine en or et, en 1946, elle reçoit la médaille de la Résistance puis la Légion d’honneur le 18 août 1961.
En 1947, elle se remarie avec le chef d’orchestre Jo Bouillon et achète le château des Milandes en Dordogne, dans le Périgord noir. Elle a pour but de le restaurer, d’y accueillir et d’y adopter des enfants de tous les continents poursuivant sa lutte. Cinq sont prévus, il y en aura douze. Ce projet, très généreux, se révélera un gouffre financier. Joséphine Baker multiplie les tournées (la revue Paris mes amours tient huit mois à l’Olympia en 1959) et les disques, mais elle échoue. En 1964, Brigitte Bardot lance un appel à la télévision pour le sauvetage des Milandes et libelle, elle-même, un chèque d’un million de centimes. D’autres chèques arrivent qui permettent de surseoir à la faillite. Hélas, le château sera vendu aux enchères en 1968 au tiers de sa valeur. Joséphine est expulsée avec les enfants et se retrouve dans un appartement de deux pièces à Paris. Jo Bouillon qui n’en pouvait plus est parti à Buenos Aires pour y diriger un restaurant. Il y mourra en 1984.
Par bonheur, la princesse Grace de Monaco qui l’admire lui offre une villa à Roquebrune où elle pourra s’installer avec sa nombreuse famille. Mais elle est ruinée et doit reprendre son métier à 62 ans. Aidée par Jean-Claude Brialy, André Levasseur et Jacqueline Cartier, elle trouve des engagements. En 1975, Jean Bodson, le propriétaire de Bobino, le music-hall de la rue de la Gaîté, lui propose d’y fêter ses cinquante ans de carrière. Elle accepte avec joie. Le 8 avril 1975, la soirée de gala, préparée avec soin, est une victoire totale pour Joséphine. Hélas, le 10 avril une hémorragie cérébrale la foudroie dans son sommeil.
Le 15 avril 1975, un long cortège suit son cercueil de la Salpetrière à l’église de la Madeleine. Elle sera inhumée au cimetière de Monaco dans une tombe voisine de celle de Marie Bell qui avait fait partie, en 1925, des spectateurs de la Revue Nègre. Enfin, Le 30 novembre 2021, sur décision présidentielle, Joséphine Baker entre au Panthéon, devenant ainsi la sixième femme et la première femme noire à rejoindre ce monument qui, depuis la Révolution française, a vocation à honorer de grands personnages (les militaires vont au Panthéon des Invalides) ayant marqué l’histoire de France.
Je ne sais pas qui a choisi cette photo, mais je l’en remercie. Elle est splendide.
Résister, lutter, adopter, aider. Merci André pour ce rappel de tout ce que nous devrions, chacun à notre humble niveau, chercher à être
Merci pour le partage de ce curriculum vitae, très intéressant et très utile : un éclairage sur la vie tourmentée et la carrière d’une personnalité artistique de grande renommée !