il n’a pas plu sur mon nuage
depuis ce qu’il me semble une éternité
plus précisément depuis que cette lumière particulière
m’a rappelé les fins d’après-midi là-bas
“à l’heure dorée” comme disait mon père
tandis que je dérivais sous l’arc-en-ciel
subjugué par la beauté du phénomène
j’en avais oublié l’absolue irréalité de ma situation
voyageur de l’autre versant déposé
sur une impression de nuage immaculé
sous un ciel de lumière inconnue
il y a eu transition il n’y a aucun doute
je ne me suis rendu compte
ni du moment ni de la manière
j’ai vague souvenir de qui je suis d’où je viens
une seule certitude devant s’il en est une
je n’en ai aucune
je n’ai plus corps mais suis encore
la lumière éclatante ravive ma transparence
il n’est plus ici de mensonge
tout me traverse tels les grands vents
qui là-bas me disaient le monde
cette presque insoutenable légèreté
m’élève en vertige jusqu’à l’oubli
je reçois en ce qui me tient lieu de cœur
l’appel puissant d’un ailleurs
que je ne sais nommer
songe d’entre deux mondes
suis-je seul
*
mon nuage immaculé est en constante métamorphose
telles mes pensées qui vont et viennent
des petits nuages diaphanes
croisent loin au-dessus l’air détaché
les dimensions de mon nuage sont vastes
il ne faut qu’un soupir d’instant
pour en atteindre les extrémités
il ne me vient pas à l’idée de regarder dessous
peut-être n’en ai-je pas encore le désir
je sens que je survole un monde
qui ne m’est pas totalement étranger
dans lequel j’aurais peut-être
laissé traces signifiantes
les aléas du temps dessous
ne se répercutent pas sur mon nuage
la lumière dans laquelle je baigne
devient de plus en plus vive
il n’est ici que pensée sans veille ni lendemain
errant au gré d’un éternel présent
mémoires et projections surgissent maintenant
s’effacent au même instant
j’apprivoise ces étoiles plus brillantes
cette proximité nouvelle et étonnante
avec plus grand que moi
me reviennent en mémoire
souvenirs d’éternité
sont-ils miens, ceux de toute humanité
ou de toute forme de vie
une sorte de temps nouveau s’écoule
je ne m’en rends pas vraiment compte
je ne le connais pas encore
images sensations émotions
étreignent ce qui me tient lieu de cœur
au loin sur fond d’azur infini
imbriquée en cristaux d’étoiles
une image saisissante
moi enfant agrippé au sein de ma mère
se détache alors de moi
une particule de lumière
larme en devenir s’inscrivant
dans l’histoire de l’humanité
sur la mer étale de mon entre deux mondes
j’avance rayonnant
tel un nouveau prince
en son royaume de lumière
*
il m’étonne et me conforte de constater
que l’éventail d’émotions que je ressens
constitue la matière même
dans laquelle je baigne
je sens je sais que la lumière
qui m’entoure, que je suis, est amour
une qualité de silence dont j’ai longtemps rêvé
me ramène à l’avant de mes naissances
et m’accorde avec les battements de mon cœur
jamais n’ai-je ressenti
paix et joie aussi profondes
à chaque magnifique coucher
de ce que j’entrevois comme des soleils
se couche une part de moi
qui ne se relèvera plus
un voile se lève
sur un reste de raison
*
ainsi en est-il de l’entre deux mondes
brèche entre nulle part et ailleurs
limbes intemporelles
s’y infiltre parfois rémanence
de mémoires reptiliennes
traces fossilisées
d’émotions ancestrales
très loin au-dessus à des temps-lumière
l’éther vibre du choc des mondes
des murailles gravées de hiéroglyphes s’effritent
il pleut des débris de savoir
des civilisations se consument en silence
mon nuage longe l’ancien lit
d’un fleuve imaginaire
dont les eaux lumineuses
rapporte en écho la légende
se jetaient en rêve
sous les arches d’arcs-en-ciel géants
tissés à même la fibre première
je sens que quelque chose se prépare
mais en ignore la nature
la densité des molécules nuageuses s’allège
fragilisant la composition vaporeuse
de mon corps d’âme
il en va de même de mon esprit
qui peine à se rassembler en un tout cohérent
et toujours ce poignant appel
qui m’émeut jusqu’aux tréfonds
mélopée portée d’étoile en étoile
*
la première fois qu’il m’est donné d’observer dessous
me cause un véritable choc
j’avais déjà tenté d’imaginer
la configuration de ce monde
mais sa splendeur
dépasse tout entendement
pétales de métal
arbres de roche
sables liquides
océans étoilés
humains ailés
astres imaginaires
miroirs d’univers
ma raison se désagrège
continents et océans
massifs et glaciers
montagnes et vallées
déserts et cités
se fondent en une mosaïque
d’une fabuleuse beauté
mon attention est attirée
par l’aura particulière
d’une fibre lumineuse
ornant en filigrane
une parcelle de la mosaïque
une émotion puissante me saisit
lorsque je réalise qu’en ce mince filament
reposent les mémoires archivées
d’une vie entière sur terre – la mienne
comme si elle n’attendait que cette reconnaissance
la pigmentation de la fibre s’embrase
révélant une fresque aux dimensions cosmiques
dont j’ai alors la certitude
y observant mon reflet comme en un miroir
d’en être à jamais le seul témoin
*
l’arc-en-ciel se déploie majestueusement
tandis que je dérive dessous
capitaine d’un navire
sans commandes
il n’a pas plu sur mon nuage
depuis ce qu’il me semble une éternité
y a-t-il jamais plu d’ailleurs
je ne saurais dire
le temps la pluie les phénomènes
toutes choses dont je n’ai que lointains souvenirs
aux confins des légendes
un vent stellaire se lève
les pastels de l’arc s’estompent
dans la lumière d’or
au détour de l’astre-frontière
ce que j’imagine être la vallée des dieux
abrite en son sein
une pouponnière d’étoiles en devenir
dont la magnificence
me transporte en deçà des mots
je n’aurais jamais imaginé ni rêvé
que telle beauté puisse même exister
bercé par la musique des sphères
mon corps d’âme pacifié
quitte tout doucement
l’entre deux mondes
l’appel d’un ailleurs sans nom
se fait irrésistible
je m’abandonne corps et âme
dans un vertigineux vortex sans retour
lorsque ce qui me tient lieu de cœur
s’entrouvre à ce qui sera
ma nouvelle – et dernière ? – réalité
je ne peux croire
en ce qui se révèle alors à moi