Un autre monde.
J’ai quinze ans, une époque, un lieu, des artistes qui nous font penser à Saint-Germain-des-Prés. Je n’ai pas connu cette époque, mais j’aurais tant aimé.
Il nous manquait juste les poètes maudits, quoi que…
Rue de Nantes, Paris : Nous étions une grande famille, tout le monde se connaissait, Dans cette rue il y avait autant de cafés que de tombe dans un cimetière.
Atelier de lithographie ou les artistes venaient. Reiser était passé dans cet atelier,.
Le Maitre des lieux, Monsieur de… Cet homme grand bourgeois devant l’éternel, habitait un château, il vouvoyait sa mère.
Maitrisant aussi bien la langue de Molière que le langage fleuri du quartier, il était un caméléon.
Des heures, des journées entières passées dans cet atelier de lithographie à tirer les exemplaires sur les presses à bras, à rire, à finir à des heures indus.
Le saucisson, le vin rouge et le langage argotique prenait vie.
Rimbaud et Verlaine auraient aimé cet endroit.
Les œuvres étaient créés sur des pierres ; autant de couleurs sur un dessin, autant de fois, le papier passait dans la machine. Couleur par couleur. Puis, une fois l’œuvre crée, on prenait deux pierres l’une sur l’autre et on les frottaient en tous sens pour effacer les dessins et les couleurs.
Au-dessus de l’atelier vivait un autre artiste dans un super loft : Christian. Il avait chez lui au mur, une croix de saint André, de deux mètres.
Un jour il partit à Amsterdam laissant sa compagne nue, attachée à la croix. Je me souviens de ses Cris :au secours au secours au secours.
Quelle fut pas notre surprise quand nous montâmes chez Christian.. sa compagne nue sur la croix. Jacque sourit, puis fit une prière avec le sourire en prime.
Quand la journée était finie nous finissions au café d’à côté.
Le gérant, notre ami Cavallio, était kabyle. Mon amie est moi lui donnions un coup de main car il était seul.
Nous avions 15 ans belles comme le jour, mais respect total des clients.
Cavalio fit passé le mot : pas de propositions indécentes pas de mains mal placés. Ce fut fait, jamais un client de s’est amusé à cela, pourtant, c’était ce que on appelle de visu, un coupe-gorge, vous n’auriez jamais mis les pieds dans ce bar. Voyez-vous faut jurer de rien.
Notre ami ne contrôlait jamais le tiroir-caisse, confiance totale dans les deux sens.
Tous les jeudi c’était couscous gratuit pour les déshérités et ceux qui n’avait pas le sous. Les boissons étaient offertes avec.
Il y avait comme client, un gitan, un vrai, avec chapeau et guitare un cousin de Manitas, aussi ridé.
Le soir parfois, on se serait cru au Sainte Marie-de-la-mer.
La guitare prenait vie, le couteau dans la poche. Les femmes dansaient le flamenco, nous changions de pays.
Les gadjos prenaient vie.
Je me souviens parfois la nuit, quand il était trop tard, on allait rejoindre Cavalio dans son studio qui se trouvait dans la cour de l’immeuble, derrière le bar.
ll dormait et avec l’insouciance de nos 15 ans, notre naïveté et la confiance que nous avions envers cet homme, nous allions, mon amie et moi, l’embêter dans son lit, le réveiller lui tirer les cheveux.
Il nous jetait de son lit nous balançait des coup de pieds avec des : foutez-moi la paix les filles, dégagez.. de l’utopie
Au bout de quelque minutes il nous incendiait et allait dormir lui-même par terre.
La cinquième dimension, dans tous les sens.
Ce monde d’artiste n’est plus le même, la confiance se donne difficilement.
Une émotion, les larmes me montent aux yeux.
Est-ce dut à la nostalgie de mes 15 ans, à l’insouciance de l’époque ou la liberté du moment, un tout je pense.
À ses hommes, ce kabyle, ce bourgeois, ce gitan, cette albanaise Agim et quelques extraterrestres qui m’ont donné confiance en l’humain..
Tant que le monde portera des hommes de valeurs de cette trempe, il y aura de l’espoir.
Tout n’est pas perdu.
Merci Anne pour cette plongée dans “un autre temps ” … pourtant pas si lointain …
Il est vrai que dans ce monde qui va si mal … nous retourner vers notre adolescence fait parfois du bien ….
Souvenirs de bonheur d’une vie de quartier parisien, êtres singuliers, précieux moments. Seul un ciel d’adolescence a si peu de nuages.
Oui, Anne ! Un autre temps qui avait son charme ! Merci pour ce partage plein de belles images !