Ton ombre est restée prisonnière des saules
dans la nuit musicale où les ténèbres parlent à mon oreille.
Le temps a mis en gerbes ses moissons
disjoint les pierres qui jaunissent au soleil.
Tout avait commencé, ainsi tout va finir,
le vent comme la pluie scelleront en nos mémoires de tragiques espoirs.
Nous saurons un matin nous éveiller ensemble,
sans rien attendre de l’empire des songes,
nous tisserons notre destin qui nous fera aigle ou colombe.
(…)
D’un élan, tu es autre, loin de la maison pieuse,
loin de la lampe qui cristallise les objets.
Victimes d’un long oubli,
nous demeurons égaux dans le sommeil,
nous devinons nos visages qu’un souffle disperse et efface.
Autrefois, tu éprouvas la plénitude des choses,
tu sus te souvenir de ce qui ne fut pas.
La tension abolit la distance,
la forêt prend mesure de l’arbre,
nos pas ajustent le chemin.
De part en part, se situent les terres où le visible nous condamne.
(…)
Quelle clarté nocturne s’est aventurée dans tes yeux,
alors que je te contemple, que l’ombre te redessine,
que peut-être je t’invente, que sans doute je te fais roi ?
Car nous régnerons, nous qui avons épousé la jeunesse de l’eau.
Nous régnerons dans l’immobile noyau de notre songe.
Probablement est-ce là que les choses cesseront d’être mortelles,
que l’éternité prendra feu, que ta royauté me fera reine.
(…)
Ici, nous avons cru la nuit définitive,
peuplée de grands ducs et de dames blanches.
Crois-moi si je te rappelle que l’enfance
a le goût des cerises et des pommes sures.
Crois-moi si je t’évoque le parc empli de mystères
où s’empannent les ailes des oiseaux nocturnes.
La demeure resplendit comme une châsse
au bout de la nef d’arbres centenaires,
un peuple de fantômes s’y ébat
à la lueur mourante des chandelles.
Entends le bruit de leurs bottines
qui claquent sur les dalles de marbre noir !
Non, nous ne pouvons plus vivre ici,
trop obsédante est l’attentive sollicitude des branches,
le frémissement des trembles alors que passe l’étranger.
Et puis, au large de la plaine, le ciel a la couleur de l’ambre.
(…)
Ne dis rien. Préservons ensemble le temps qui dort,
tenons à l’abri la songeuse espérance.
Au-dehors, laissons le bruit battre à la vitre,
l’horloge égrener son chant funèbre,
écoutons le râle de la mer et les vents venus d’ailleurs
nous bercer de la complainte des lointaines terres.
Regarde-moi, dans ce demi-jour ou cette demi-nuit
me chauffer au feu qui décline,
me taire pour te mieux entendre,
pour te mieux connaître me recueillir dans ton absence.
Tout en moi se fait l’écho de toi.
C’est une vibration intime qui s’exaspère,
un prolongement irrésistible ; de l’un à l’autre vers ce qui recule et s’espère.
Deviner ton pas quand tu viens,
quand tu pars le supporter qui s’éloigne,
à chaque instant te découvrir,
te rejoindre en chaque pensée,
dans l’aube qui se défroisse,
ô songeuse espérance,
ne point laisser place à l’angoisse.
Armelle BARGUILLET HAUTELOIRE ( Extraits de “Profil de la Nuit ” )
Bonjour,
Votre poésie est bouleversante!!!
“De combien d’ émotions ne sommes nous pas l’inexpliqué?
Comment ne pas avoir le frisson aux lèvres
A sentir en soi, le verbe manifesté “
Merci Armelle pour ce beau poème qui parle de l’absence, du souvenir, du rêve… j’aime particulièrement :
“Autrefois, tu éprouvas la plénitude des choses,
tu sus te souvenir de ce qui ne fut pas.
La tension abolit la distance,
la forêt prend mesure de l’arbre,
nos pas ajustent le chemin.
De part en part, se situent les terres où le visible nous condamne.”
Se souvenir de ce qui ne fut pas, nos pas ajustent le chemin, le visible qui nous condamne en nous limitant… voici le lot du poète.
Un petit moment de plaisir… bien réel