La salle d’attente était remplie de personnes affaiblies et enrhumées venues, tout comme moi, consulter le médecin pour soulager les maux de la saison. Cette année encore, l’hiver n’en finissait plus de montrer sa force et déployait au fil des jours sa panoplie de pluies, de neige et vents tourbillonnants. Je pris le seul fauteuil restant, et commençais à patienter, pensant sortir juste à temps pour récupérer les enfants à la sortie des classes…
C’est alors que je ressentis presque aussitôt une présence, une vibration, un je ne sais quoi qui me fit lever les yeux vers une explosion de couleurs multicolores. Des coquelicots, éclatants de beauté composaient le devant de la toile. Leurs corolles, d’un rouge pourpre, tantôt épanouies, tantôt rabattues montraient leur fragile délicatesse et semblaient flotter dans la composition. Les tiges frêles des graminées laissaient retomber nonchalamment leurs paillettes d’or sur des bourgeons de roses aux couleurs pastels. Des lilas mauves en grappes épaisses, dressés sur leur tige, s’élançaient vers le ciel, arborant leurs clochettes symétriques. Les frêles anthémis déployaient le blanc immaculé de leurs pétales duvetés. Plus loin, des marguerites sauvages, aux feuilles dentées, entrelacées aux gaillardes rouges, apportaient une touche rustique.
Tout était harmonieux, léger et vaporeux et semblait vouloir sortir de ce cadre en bois aux teintes sang et or. C’était un enchantement, une palette de couleurs poétiques propices à la rêverie et j’imaginais soudain la perception de la fragrance, le nectar des calices, le goût suave des pédoncules fraîchement coupés. Je ne pouvais détacher mes yeux de cette perspective florale, admirant tout à la fois la finesse des glacis, la superposition des matières, les mouvements ordonnés et les ombres portées, habilement posées par la main du peintre.
Et partout le vert ! Le vert émeraude des feuilles, le vert ambré des feuillages, le vert moiré des ramages, du vert bleuâtre au bleu verdâtre des pédoncules velus, tout était peint avec justesse ! J’étais émerveillée par ces corolles naissantes, ces lobes graciles étroits et linéaires, ces pistils aériens, ces sépales duveteux, ces étamines bicolores que les reflets de la lumière sublimaient !
Je regardais la toile et la toile me regardait, semblant capter mon ressenti et mon imaginaire. Elle avait deviné que je la trouvais belle et mesurait ma sensibilité pour la peinture et mon âme d’artiste en général. Elle semblait me saluer, me reconnaître et me témoigner une complicité intellectuelle. Nos pensées convergeaient vers la même expression de la beauté, vers la seule passion dans la création. Je me pris à rêver quand tout à coup :
« Personne suivante s’il vous plaît ? »…. C’est à qui ? ?
Dans un sursaut, je me levais à regret, non sans avoir adroitement lancé un clin d’œil à la toile qui me le rendit aussitôt !