Oh mon joli pays! – Daniel Marcellin-Gros

Oh mon joli pays!

 

Oh mon joli pays! mon beau pays de neige!

Tu résonnes en mon cœur comme un hymne à l’amour!

Te chanter, te louer, m’est comme un privilège,

Et je vis près de toi mes ultimes beaux jours!…

Tu sais te montrer rude à tous ces gens qui t’aiment,

Tu es la main de fer dans un gant de velours,

Bien que froid et revêche, on t’apprécie quand même,

Ta terre est amoureuse et colle à nos pieds lourds!

Tu es tout dévolu à la gent paysanne,

Qui conquiert ton sol par de sublimes efforts,

Les moissons que tu lèves: ” récompense idoine ”

Ondulent sous le vent, telles perruques d’or!

Si tes terres sont froides, ton paysage est doux,

Tes vallons verdoyants, inspirent les poètes,

Tes forêts chatoyantes recèlent ces beaux houx,

Dont les guirlandes vertes nous attirent ou nous fouettent!

Tes troupeaux mugissants broutent dans les prairies,

Et font rôder leur mufle parmi les touffes grasses,

Puis mâchent, et leurs yeux mornes vont en rêvasseries,

Leurs cornes levée aux cieux semblent implorer les “Grâces!”

Je t’aime oh mon pays! berceau de mes ancêtres,

Je suis venu vers toi pour mieux les retrouver,

Les sentir près de moi me procure un bien être,

Et dompte ce chagrin qui voulait m’éprouver!

°°°°°

Je te revois papa qui nous a tant aimés,

Ainsi que toi maman dormant à ses côtés,

Je ne puis m’empêcher de verser quelques larmes,

Quelques larmes d’amour apaisant mes alarmes!

Je vis dessus vos terres, oh mes humbles parents!

Qui nous avez instruits, faisant moult sacrifices,

Tout ce que l’on vous doit, notre cœur vous le rend

Et nous sommes très fiers d’avoir été vos fils!…

Vous donniez votre amour comme on offre des roses,

Combien de souvenirs, je vois soudain surgir,
Comme un feu d’artifice dans son apothéose,

Tels que la roue d’un paon aux couleurs de délire!

Aux Noëls attendus comme un divinMessie,

Papa montait cacher les jouets au grenier…

Le sapin décoré, telle une galaxie,

Dominait une crèche aux Anges agenouillés…

A la messe de minuit, nous partions en galoches,

Sous la bise opiniâtre, et les flocons jetés

Par les nues vidant leur besace au son des cloches,

Et le Christ sur sa croix, laissait, faire, hébété!

Et que dire de ce prêtre vidant la coupe d’or,

Essuyant d’un revers ses lèvres mensongères,

Et les enfants de chœur, ricanant pas trop fort,

Agitaient la sonnette à l’annonce des prières!

Après avoir mangé, le Christ, et bu son sang,

Le curé en sa chaire balbutiait des sermons,

Lançant un regard torve au Jésus pâlissant,

Qui aurait bien voulu qu’il chassât les Démons!

Maman, bonne chrétienne, chantait avec les chœurs,

Sa voix mélodieuse entonnait des chants pieux,

Et le son harmonieux faisait battre nos cœurs,

Les “ite missa est” ponctuaient les adieux!

Papa, très peu croyant, faisait cuire les oiseaux,

Que nous dégusterions la nuit du réveillon,

Nous revenions frileux, courbés tels des roseaux,

Et le froid avait mis sur nos bouches un bâillon!

Nos yeux resplendissaient comme les feux du soleil,

A la vue du sapin aux bougies allumées,

A la crèche où Jésus rêvait bleu ou vermeil,

L’âne et le bœuf soufflant sur son beau petit nez!

Nous allions nous coucher, engourdis de sommeil,

La chambre était bien froide, les vitres ciselées

De guirlandes de givre, aux dessins nonpareils!…

A peine dormait-on qu’on était appelés

Par la voix de papa que la joie ensoleille!

Levez-vous mes enfants, Noël vient de passer!

La lèvre affriandée, on courait en chemise,

Nos chaussures débordaient d’oranges amassées,

De joujoux désirés, ainsi que friandises!

Papa versait sa larme à maman enlacé…

Jamais je n’oublierai ces moments fabuleux,

Où la joie rayonnait dans le foyer modeste,

Daniel Marcellin-GrosCette joie débordant en flots tumultueux,

Sous l’œil concupiscent de la voûte céleste!

Oh parents! chers parents, vous fûtes vertueux!

°°°°°

Je me souviens du bel hiver cinquante six

Où la neige tombait comme au premier déluge,

Où le gel descendait jusqu’à moins vingt six,

Où papa nous avait fabriqué une luge!

L’école fut fermée, gelant à l’intérieur,

Nous allions patiner sur le bassin de joutes,

Les lèvres crevassées mais le regard rieur,

Nous aurions mérité une fessée sans doute!…

°°°°°

Papa fut cheminot, comme le fut son beau-père,

Il eut droit chaque année à des lots de traverses,

Pour chauffer la maison, ou pour qu’elles la tempèrent,

Quand il faisait trop froid, ou qu’il pleuvait à verse!

Empoignant le merlin, les coins, et puis la hache,

Il faisait éclater le bois en le frappant,

Il cognait vaillamment jusqu’à ce que les coins lâchent,

S’acharnant en poussant d’effroyables ahans!

Il livrait ce combat, tout comme un gladiateur,

Et nous l’on contemplait les yeux admiratifs,

Ses beaux muscles saillants, huilés par la moiteur,

C’était un homme râblé, loin d’être chétif!

Il était ce héros pour nous, toujours vainqueur!…

Maman, pendant ce temps avait du grain à moudre:

Nettoyer la maison, préparer les repas;

Puis elle faisait chanter la vieille machine à coudre

Un peu lasse, elle jurait, bien souvent en patois!

Quand le point déviait, qu’il fallait le découdre!

C’était une maîtresse de maison incroyable,

Les meubles étaient cirés, ainsi que les parquets,

Et cela dégageait une odeur agréable,

Elle avait bien conscience de n’être qu’un laquais,

Au service des enfants, d’un époux remarquable!

°°°°°

Quand l’été revenait, nous partions en vacances,

Dans le si beau village cité précédemment,

Où je plonge mes racines avec véhémence,

Dans ces lieux où j’étais un gentil garnement!

Là où l âme et mon corps agissent en concordance!

A l’âge de quatorze ans nous allions à vélo

Vers ce bourg enchanteur, suivant notre papa,

Il nous semait parfois, c’était bien rigolo,

Quand ça montait trop fort, on lui servait d’appât,

Transpirant, il disait: ah les petits salops!

Mais il était très fier de sa progéniture,

Voyant la force en nous, qu’il nous avait transmise,

Ainsi que le respect, que nimbe la culture,

Il nous savait capable de mouiller nos chemises,

Affronter cette vie qui règne sous l’azur!

Et je l’en remercie tout autant que maman,

Ils surent nous élever, sans ménager leur peine,

J’enrage qu’ils soient partis dormir au firmament,

Dieu les consolera d’un éternel hymen,

Je sais qu’ils nous regardent avec leurs yeux charmants!…

°°°°°

Lorsque nous arrivions, dans la maison aimée,

Papa prenait la faux, maman la serpillère,

Et chacun s’attelait à ces dures corvées,

Pour rendre accueillant le logis de naguère,

Lui redonner l’éclat qu’il eut dû conserver!

Quand tout était bien net, on allait faire les courses,

Comme le pain sentait bon dans la boulangerie!

Il valait quelques sous déliés de la bourse;

Les couronnes étaient cuites au bois d’une scierie!

Elles grésillaient la nuit quand luisait la grande ourse!

Le mitron endormi sur les sacs de farine

Ressemblait à Pierrot sous une lune blanche,

Par moment une mouche chatouillait ses narines,

Il la chassait d’instinct par un revers de manche,

Il rêvait de Sirènes et de vagues marines!

Au boulanger jovial, on souhaitait bon dimanche,

La porte résonnait, de clochettes ou clarines!…

On descendait trois marches de l’escalier de planche,

On se rendait alors à la boucherie voisine,

Pour faire découper de bons steaks en tranches!

Plus loin l’épicerie, où l’on aimait aller,

Regorgeait de bonbons dans des pots de cristal,

Maman sortait la note qu’elle lisait d’emblée,

L’épicière décrochait quelques boîtes de métal,

Puis griffonnait les prix des denrées rassemblées!

Papa prenait alors le panier le plus lourd,

La cigarette aux lèvres, et la joie dans le cœur,

Et maman nous couvait de son œil de velours,

Et nous, petits enfants on rigolait en chœur,

Le soleil nous baignait de ses rayons vainqueurs!

C’était encor l’époque des chemins empierrés,

Qui fumaient au passage des longs troupeaux de vaches,

Certaines avaient des bois balançant sur les pieds,

Pour ralentir la marche de ces bêtes bravaches,

L’espar en chêne permettait de mieux les gérer…

C’était des beuglements résonnant alentour

Comme des coups de tonnerre par les grands soirs d’orage,

L’ondulation des croupes ponctuait le parcours,

Les queues battaient les mouches qui les mettaient en rage,

Puis les bouses lâchées avaient un parfum lourd!

Le berger sur leurs pas frappait quelques flancs mous,

Armé de son bâton taillé dans un noyer,

C’était la bousculade provoquant des remous,

Les taureaux vous dardaient un regard rancunier,

Tandis que les oiseaux s’envolaient des sorbiers!

En ces temps aucun pré n’était ceint de clôtures,

Le matin les troupeaux allaient paître aux champs,

Gardés par le berger, sourcilleux de nature,

Surveillant le bétail, avec un chien méchant,

Ramenant l’égarée broutant hors des pâtures!

°°°°°

Oh maison du vieux temps combien t’ai-je aimée!

Et n’étant plus la même, combien t’aimais-je encor!

Les oiseaux font toujours leur nid dans les ramées,

Les biches ont toujours peur du son lointain d’un cor,

J’espère vivre en tes murs, encor quelques années!…

 

©Daniel Marcellin-Gros

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