L’enclume et le marteau – Christian Satgé

Petite fable affable

Une vieille enclume complètement frappée,
Battue, blessée, bref forgée plus qu’écharpée,
Avec un marteau, tapait la causette.
Il raisonnait comme il résonnait : faux.
La forge à leurs débats restait muette,
Nul ne prenant partie car il ne faut
Pas contrarier la frappe assommante,
Ni se cogner cette enclume démente
Qui, quoique sonnée, était moins marteau
Que l’autre, se disait-on in petto.
On respectait cette masse dormante
Qui, seule, osait tenir tête au marteau.

Tous les outils, ayant la rouille au ventre,
Fuyaient les discussions de cet antre
Et les flammes du feu s’enflammaient peu
Pour leurs disputes, un peu chiche-faces
Pour les maux. Mais le soufflet, plus pompeux,
Renvoyait dos-à-dos ces face-à-face
Et leurs auteurs jamais, eux, essoufflés.
Le marteau, plein d’élan, criait, gonflé :
« À force, va !, tu seras moins brillante ! »
Elle ne bougeait pas. Dure et vaillante,
Insensible au fait de tant morfler.
On admira qu’elle restât chatoyante.

Répondant coup pour coup par un éclat
Net, l’enclume ne bougeait pas. Corps las.
Le battant, sans se mettre martel en tête,
Ni craindre de la heurter, la rossait
Plus, percutant et brutal comme bête.
À chaque coup de boutoir, sans procès,
La massive répondait sans faiblesse
Et claquait, juste marquée, la drôlesse
Et il lui tombait dessus, à nouveau,
Vexé qu’elle n’ait pliée. Ah, quels rivaux !
Pour la briser, il allait sans mollesse ;
Elle résistait à ses vains travaux.

« Moi, je m’en tape de ta violence :
Par ma masse et mon inerte insolence,
Plus tu me rudoies moins sonne mon glas !
Le plus frappé de nous deux dans la forge,
N’est pas celui qu’on croit, grand échalas !
– Tu céderas, là, dans ce coupe-gorge :
L’arme de Thor ne saurait avoir tort !
– La force vient à bout de tout, butor ?
Vois, t’acharner ne m’abat ni ne m’use :
Ça me rend plus brillante,… triple buse ! »
Leçon ? Tyran impuissant et retors,
Face aux résistances passives, ruse !

© Christian Satgé – avril 2015

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Christian Satgé

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Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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