Il y a des choses qui ne peuvent laisser indifférent : allongé devant le seuil d’un commerce fermé, dans cette ville du littoral algérien, jadis belle et coquette, un être humain qui n’a plus rien d’humain, les yeux hagards enfoncés dans leur orbite, la tignasse poussiéreuse, touffue et en désordre, le visage émacié, ravagé par les péripéties d’une vie impitoyable, la barbe hirsute, les vêtements en lambeaux, l’hygiène douteuse, faisant penser plus, à l’homme des cavernes, qu’à un citoyen du monde, vivant au vingt-et-unième siècle, se tord de faim, suppliant d’un râle caverneux, les passants de lui donner à manger.
Le moment d’étonnement et d’effarement passé, je lui donnai une pièce de monnaie et continuai à marcher, triste, secoué, déboussolé.
Ce que je venais de voir me rappela un spectacle qui m’avait profondément choqué il y a quelques années : celui d’un SDF, aperçu dans la capitale portugaise, Lisbonne, cherchant sa nourriture dans une poubelle et mordant dans un morceau de pain qu’il venait d’y dénicher. L’image m’avait sidéré, parce qu’en ce temps-là, dans mon pays, cela ne se faisait pas, cela n’existait pas, cela ne s’imaginait pas !
Parmi les souvenirs qui s’entrechoquaient dans ma tête, le récit fait par « Almanfalouthi », cet immense auteur, qui, selon ses propres dires, va au théâtre, non pas pour regarder ce qui se passe sur les planches, mais dans le but d’être « un spectateur ayant pour spectacle, les spectateurs eux-mêmes ! » me vint à l’esprit : il raconte, qu’un jour, alors qu’il se dirigeait vers la demeure d’un riche dignitaire, dans le cadre d’une visite, il rencontra en chemin, un pauvre, la main posée sur son ventre, comme s’il souffrait. A la question :”qu’as-tu ?” Il répondit qu’il n’avait pas mangé depuis plusieurs jours. Il lui fit l’aumône de sorte qu’il puisse se mettre quelque chose sous la dent, puis continua sa route en direction du domicile de son ami aisé.
Arrivé devant l’imposante construction, il fut introduit chez l’ami qu’il était venu voir. Il fut surpris de le trouver la main posée sur le ventre et gémissant. A la question de savoir de quoi il souffrait, on lui répondit : « il a eu une indigestion pour avoir trop mangé. »
« Almanfalouthi » eut cette réflexion : « étonné, je ne pus m’empêcher de penser : pourtant, il aurait suffi que le riche donne au pauvre ce qu’il a mangé en surplus, pour qu’aucun des deux ne se plaigne ni de famine pour l’un, ni d’indigestion pour l’autre. »
B.Boumedien
Ce qui revient à dire que la richesse est mal distribuée … Une utopie que de penser que ce sera différent un jour, mais il me semble même que cela s’aggrave ! Merci pour vos mots pleins d’humanité !
Une bien belel fable, Brahim. Continue à nous enchanter avec de tels textes…
Merci, Christian !