Le Passager
I
Un homme est venu
Traînant la longue chaîne
Un homme est venu
Portant la lourde peine
Un homme est passé
À travers le vallon
Un homme est passé
A longé les maisons
Et nous avons vu l’homme
Pas lourd et dos ployé
Et nous avons vu l’homme
Passer dans la cité
Avons regardé l’homme
Que sa charge courbait
Avons regardé l’homme
Qui sous la chaîne peinait
Et l’homme de ses yeux lourds
A porté son regard au niveau des fenêtres du bourg
Et l’homme aux yeux si lourds
Vit trembler les rideaux des fenêtres du bourg
A chaque pas de l’homme
Courbé dessous sa charge
A chaque pas de l’homme
S’alourdissait sa charge
Et plus l’homme avançait
Tirant, traînant la chaîne
Et plus l’homme avançait
Plus grandissait la chaîne
L’homme aux muscles saillants
Demi nu
L’homme aux muscles saillants
Lentement disparut
Et nous sentions nos cœurs
Peu à peu s’alléger
Et nous sentions nos peurs
Avec lui s’éloigner.
Seule, cliqueta longtemps
La longue, longue chaîne
Sous la Lune montant
Au-dessus de la plaine.
Nous nous sentions légers
Dans nos âmes et nos cœurs
Nous nous sentions légers
Nous croyions au bonheur
En passant par chez-nous
L’homme avait emporté
Nos haines, nos courroux
Et nos iniquités.
II
Ainsi nous l’avions vu
Chez nous il est passé
Ainsi nous l’avions vu
Le Proscrit, le Damné
Ses épaules chargées
De nos crimes immondes
Ses épaules chargées
Des désordres du Monde
En tirant après lui
Nos peines, nos chagrins
En tirant après lui
La boue souillant nos mains
Et la ville délivrée
Renaissait à l’éveil
Et la ville délivrée
Se sentait au soleil
III
Nous l’avons vu passer
Mornes, indifférents
Nous l’avons vu passer
Sans l’aider un instant
Alors l’homme s’arrêta
S’asseyant sur les monts
Alors l’homme s’arrêta
Et toisant le vallon
Il étendit la main
Sur la cité ingrate
Il étendit la main
Pour que l’orage éclate
Et de sa voix roulante
Écrasant les maisons
Et de sa voix roulante
Lança sa damnation
Soulevant son fardeau
Le jeta sur la ville
Soulevant son fardeau
Il en noya la ville
Ramenant un à un les maillons de la chaîne
Les lova en muraille autour de la cité
Ramenant un à un les maillons de la chaîne
Les souda en muraille autour de la cité
Sous le ciel obscurci
Nos veines se glacèrent
Sous le ciel obscurci
Nos yeux se dessillèrent
IV
Nous errions dans les rues
Dans la crainte et l’éveil
Nous errions dans les rues
En absence de sommeil
Au-dessus nos têtes
Les nuées grondantes
Au-dessus de nos têtes
Une nuit oppressante
Et la haute muraille
Où nous brûlions nos mains
Et la haute muraille
Nous garda en son sein.
Je ne peux m’empêcher de comparer ce passager au Christ et à sa crucifixion qui porte sur lui tous les pêchers du monde et souffre de l’indifférence ressentie par les humains , vis à vis de notre prochain! Ce poème nous prend aux tripes et reflète bien ce que signifient ces fêtes de Pâques , merci pour ce partage ! bonne journée Colette Guinard
Merci de vos commentaires. N’étant pas croyant, je ne pensais pas au Christ, mais vos suggestions me vont au coeur. Pour ma part, je pensais d’une manière plus large, à tout étranger passant par nos rues, et que nous regardons au mieux avec indifférence, au pire avec hostilité, plus rarement avec compassion.
Oui un texte très fort qui prend aux tripes et je suis bien d’accord avec Lucienne pour cette comparaison avec le Christ et nos lourds fardeaux que nous trainons tous d’une manière ou d’une autre.
C’est très émouvant et j’en reste bouche bée…
Je ne peux m’empêcher de repenser, en lisant votre texte si parlant et émouvant, à la mission du Christ qui prend sur lui nos fardeaux, connaît le rejet, l’indifférence, l’ingratitude….le mépris, porte la croix…tout le poids de l’indescriptible souffrance qu’il a endurée, et tout ce qui l’a conduit au Calvaire,.., les âffres de la crucifixion, de l’agonie….etc…il y aurait tant à dire s’il fallait faire une “exégèse” de votre poème, qui me ramène au pied de la croix où est la source de ma paix et de ma guérison…. Je pleure.
“Nous l’avons vu passer
Mornes, indifférents
Nous l’avons vu passer
Sans l’aider un instant..*
(Tant de similitudes avec Ésaie 53).
Votre texte m’émeut profondément.
Merci, Patrice. Magnifique.
J’ai beaucoup aimé votre poème pour son côté symboliquement Christique…J’ai aimé ma lecture…JC