Le cri du silence – Véronique Monsigny

LE CRI DU SILENCE – Véronique MONSIGNY

Je croyais connaitre le vrai silence, celui qui régnait sur la terre avant l’arrivée des hommes. Dans le désert le silence c’est juste le bruit du vent qui déplace des montagnes de sable en un léger crissement. La nuit quand les hommes et les bêtes se reposent de leur dure journée, le silence règne en maître. Le vent est tombé (quelle drôle d’expression, on en viendrait presque à le plaindre, comme quelqu’un qui tombe amoureux ou une femme qui tombe enceinte). Enfin, bref, le vent est tombé et le soleil a disparu derrière les dunes. Seules les étoiles font leur ronde nocturne  dans le ciel. Certaines, filantes, tombent elles aussi dans le sable, mais tout se fait sans bruit comme pour respecter le repos de la nature et accessoirement des hommes. Je me suis mise à penser que c’était ce silence primordial qui régnait avant. Avant quoi ? Avant que l’homme n’apparaisse et décide de soumettre le monde à ses besoins. Croissez et multipliez ! Soumettez les animaux rampants, courants, volants, nageant, d’accord,  mais on ne vous a pas dit de le faire avec tant de brutalité, d’égoïsme et d’inconséquence. Les animaux sont là pour vous servir, accessoirement pour vous nourrir. Mais il faut les respecter et respecter leur milieu de vie, autrement ils se vengeront et vous empoisonneront. D’ailleurs, ils ont déjà commencé.

Bref le silence ce serait l’harmonie de la nature sans les hommes…

Et puis je suis arrivée un soir de Juin en Guadeloupe, et là j’ai entendu la nature insoumise, sauvage. On dirait qu’une volée d’étourneaux invisibles  piaille au dessus de nos têtes. Sauf qu’ici cela ne dure pas 20 ou 30 minutes le temps que tout ce petit monde se mette au nid ou s’ébroue le matin. Ici cela dure toute la nuit. C’est un vacarme assourdissant, impossible de dormir sans se boucher les oreilles.

Alors je me suis posé la question suivante : est-ce cela le vrai silence des origines, celui du temps où l’homme n’avait pas encore soumis la nature ? Où est-ce un cri de révolte et de souffrance devant tous les crimes de l’humanité. Ceux que les hommes s’infligent entre eux, finalement ça les regardent, mais aussi ceux par lesquels ils remercient la terre de les porter, de les nourrir et de renouveler au gré des saisons leurs  décors et leurs ressources. Ce vacarme est-il joyeux ou désespéré ? Un instant l’inquiétude m’a saisie au milieu de la nuit antillaise : et si les animaux, les fleurs, les arbres et même pourquoi pas le soleil, en avaient assez ! Si ces palabres nocturnes avaient pour but de décider jusqu’où l’homme pouvait aller trop loin ?

Je suis retournée me coucher, vaguement inquiète, vaguement honteuse de tant d’ingratitude. Le matin, le soleil était là, le vacarme s’était tu et les oiseaux avaient repris leur chant mélodieux. Les fleurs entouraient notre bungalow d’une couronne parfumée. Les palmiers brassaient l’air pour nous donner un peu de fraîcheur. Des oiseaux de toutes tailles et couleurs sont même venus partager notre petit déjeuner. Alors j’ai été rassurée. La nature continue à nous aimer, comme une mère aime son enfant turbulent, et même délinquant. Mais attention, une Maman trop aimante peu mourir de chagrin si l’on n’a pas pour elle un minimum d’égard !

(Guadeloupe, Juin 2013)

le cri du silence

Nombre de Vues:

47 vues
Véronique Monsigny

Véronique Monsigny (204)

J'ai commencé à écrire des poèmes à l'âge de 60 ans. Ce n'est pas moi qui les ai cherchés, ils se sont imposés à moi comme une bouffée d'air pur au moment de la retraite. Enfin laisser parler les mots qui dorment en moi !
J'ai lu Victor Hugo et Lamartine à l'adolescence, puis Aragon et Baudelaire un peu plus tard. Brassens a bercé mon enfance. Ils m'ont appris à rimer en alexandrins.
Le virus était en moi. Il y a sommeillé le temps de travailler, d'élever mes enfants, de taire mes maux pour mieux m'occuper de ceux des autres.
Et voilà le flot de mes rimes sur lesquels je navigue aujourd'hui, au gré des jours bons ou moins bons. Ils me bercent, ils m'apaisent... je vous en offre l'écume du jour.

S'abonner
Me notifier pour :
guest

4 Commentaires
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
Martine Brûlé
Membre
17 juillet 2016 23 h 03 min

Bravo oui. Moi si j’étais la terre il y a simplement des jours durant lesquels je m arreterais de tourner ne serait ce que quelques minutes .. rien que pour nous faire éprouver à tous notre plénitude notre joie et notre liberté d’exister

Donald Ghautier
Membre
11 novembre 2015 12 h 12 min

Le silence est un thème vraiment intéressant vu par le prisme de ce texte. J’y trouve une véritable vision écologiste, dans le sens non politique du terme évidemment, où la nature est au-dessus de tout.
Merci Véronique pour ce moment,
Donald

Brahim
Invité
31 octobre 2015 22 h 21 min

Au moment où tu évoques “le cri du silence”, j’ai été tenté un instant de te parler du “silence du cri” en pensant au stoïcisme dans ” la mort du loup” de Vigny : “Seul le silence est grand, tout le reste est faiblesse”, mais ceci est une autre affaire… Merci, pour ce généreux partage, chère amie, dans lequel tu relates une tranche de vie pleine de découvertes.

Cordialement.

Brahim