La plaie qu’il porte au flanc – André Nolat

LA PLAIE QU’IL PORTE AU FLANC – CHRONIQUE POÉTIQUE

«Maintenant que la jeunesse/ S’éteint au carreau bleui »

Louis ARAGON, Le Crève-Cœur

 

En 1979, lorsqu’il parut à la télévision dans six émissions de Raoul Sangla, Aragon portait des masques qu’il posait et remettait sans discontinuer, et rien n’est plus révélateur que cette ultime parade de l’itinéraire tourmenté de l’auteur de Théâtre/Roman.

 

Enfant illégitime, jeune homme révolté par la guerre de 14-18, dandy, poète et déjà romancier qui anima au côté d’André Breton le mouvement surréaliste, compagnon d’Elsa Triolet qu’il ne cessera de célébrer avec le flot sacré du couple, journaliste à L’Humanité pris aux ronces de l’orthodoxie, directeur du journal Ce Soir, thuriféraire de la Guépéou, de Staline et de Thorez, chantre de la Résistance sous le pseudonyme de François-la-Colère, directeur du périodique Les Lettres françaises, voué au rouge mais épris de la couleur bleue, déchiré entre ses vues personnelles, son intelligence crispée et les méandres puis les virages à cent quatre-vingt degrés du parti communiste dont il est membre du Comité central dès 1950, réprouvant l’intervention soviétique en Tchécoslovaquie mais refusant qu’on rouvre le dossier Nizan, vieillard enfin, veuf d’Elsa, vêtu de blanc, suivi d’une constellation de jeunes gens dans les nuits de Paris et avouant, dans une longue divagation, La valse des adieux : « Cette vie comme un jeu terrible où j’ai perdu. Que j’ai gâchée de fond en comble. »

 

Derrière les masques, quel feu l’a donc rongé, ce merveilleux styliste, ce conteur, ce troubadour, pour qu’il ait enroulé sa vie comme un lierre autour de la statue d’Elsa, pour qu’il se soit ainsi accroché au Parti, quel feu l’a donc si fort brûlé ?

 

Qu’importe après tout. Il laisse à la littérature des milliers de vers, certains beaux jusqu’aux larmes, et un massif romanesque dont la splendeur diaprée, la dense variété étonnent. Du jeune homme prodige aux silences terribles du vieux roi, la mort a ressuscité un seul Aragon : celui du langage qui arpente les ténèbres et, par des milliers d’éclairs, donne la dimension de la nuit.

 

(Écrit le lendemain de la mort du poète le 24 décembre 1982)

 

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Guy André Talon

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J'ai publié, chez de petits éditeurs sérieux et en autoédition avec souscription, sous le pseudonyme d'André Nolat (que je tiens à conserver), des plaquettes, des nouvelles, des chroniques, des essais. Je ne m'en prévaux guère.
Par ailleurs, je vis seul depuis le décès de ma compagne, et j'aime lire, écrire, voir des films, des débats télévisés, etc.
Quant à ma vie passée, plus agitée, elle a fait l'objet de divers récits liés à des lieux où j'ai vécu - presque tous détruits ou métamorphosés... C'est pourquoi à partir d'un certain moment de son parcours, je crois qu'on peut dire, citant Céline, " qu'on est plus qu'un vieux réverbère à souvenirs au coin d'une rue où il ne passe déjà presque plus personne."

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2 Commentaires
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Arnaud Mattei
Membre
27 février 2025 13 h 00 min

Merci pour cette évocation d’un grand