La Maison de ma Mère – Daniel Marcellin-Gros

La maison de ma mère…

La maison de ma mère montrait son air austère,

Elle était enserrée par de vieilles bâtisses,

Dès le premier regard on ne l’appréciait guère,

Mais Grand-père fit pour elle de nombreux sacrifices!

Il l’avait achetée, payant en pièces d’or,

Au comptant, le crédit, d’ailleurs n’existait pas,

Il la consolida, sans plaindre ses efforts,

Dans l’œil, comme l’on dit, il avait le compas!

Et il n’avait pas peur de mouiller sa chemise!…

Grand-père avait des yeux bleus pâles à faire frémir!

Et sous son nez crochu, portait moustache grise,

Qu’il roulait dans ses doigts pour mieux la faire tenir!

La maison était vaste, mais pourtant mal conçue,

Un corridor menait du salon à la chambre,

La cuisine suivait, sombre, mais bien tenue,

 

Grand-mère y officiait de janvier à décembre.

Une porte-fenêtre, s’ouvrait sur le jardin

Immense, que grand-père, en flanelle, cultivait,

Les légumes y poussaient, ainsi que romarin,

Levé au chant du coq, l’ancêtre s’y activait!

Il y avait un pommier et une vigne en fleurs,

Dont le bonhomme faisait une âpre piquette,

Qui pourtant le grisait, comme un crû des meilleurs,

Il titubait, chantant, rajustant sa casquette!

Grand-mère le tançait tout en le réprouvant,

Et lui, lui fredonnait: d’où viens-tu beau nuage,

Emporté par le vent? Je viens de cette plage,

Où j’ai pleuré souvent! et c’était émouvant!

Que les gens étaient simples! Heureux de pas grand chose!

Travailleurs acharnés, ayant peu de plaisirs,

Une larme leur venait quand ils cueillaient des roses,

C’était un pur bonheur de les voir s’en saisir!

La fenêtre de la chambre, donnait sur la remise,

Où sur le chevalet, grand-père sciait du bois,

Des fûts d’arbre à couper montaient jusqu’aux solives,

Et, sur un vieux plancher il étalait des noix!

Dans un coin, fréquenté pour de pressants besoins,

Trônait, majestueuse, une fosse d’aisance,

Grouillante d’asticots, horribles, j’en suis témoin,

Et l’on avait fini avant que l’on commence!

Je ne parle même pas de ce papier journal,

Accroché à un clou pour l’action hygiénique,

A l’époque cela n’avait rien d’original,

De nos jours on en rit, mais d’un rire sardonique!

Chaque matin grand-père s’enroulait de flanelle,

C’était comme une valse dans le corridor noir,

Un geste rituel, quasiment solennel,

Presqu’aussi important que de manger ou boire!

Jouant avec mon frère, j’eus un bel accident,

Il me fit tomber sur la roue d’une brouette,

 Qui m’entailla l’arcade de son acier mordant,

Grand-mère me pansa, marmonnant: c’est pas chouette!

Le sang qui l’aspergeait ne lui faisait pas peur,

Elle en avait vu d’autres, cette bien frêle femme!

Pas besoin de docteur, ni de pompiers sapeurs,

J’eus droit à un bonbon! Que Dieu garde son âme!…

…Je revois la cuisine, où trônait un pétrin,

Que d’anciens boulangers appellent une maie,

Un mélange d’arômes, en sortait souverain,

Fait de tommes, de pain bis, quand le plateau s’ouvrait!

Un escalier de bois conduisait à l’étage,

Un grenier, puis trois chambres attendaient les dormeurs;

Au dessus de nos lits, une vierge très sage

Ecoutait nos prières que nous savions par cœur!

Des souliers dépassaient sous le rideau flottant,

De la grande penderie puant la naphtaline,

On croyait voir des spectres: “envoyés de Satan!”

Et nos cœurs affolés secouaient nos poitrines!

 

Au matin, comme un songe, les fantômes avaient fui,

On se levait heureux, la tête ébouriffée,

Sur l’escalier tournant on descendait sans bruit,

Les narines embaumées par l’odeur du café!

Grand-père avait déjà fait son tour au jardin,

Puis, cassait une croûte, libéré des sabots.

Il nous aimait je crois, pourtant un faux dédain

Emplissait ses yeux bleus, terribles autant que beaux!

Les câlins n’étaient pas vraiment sa tasse de thé,

Et lorsqu’il nous faisait sauter sur ses genoux,

Ca ne durait qu’un peu: ” allons, c’est bon, caltez !”

Quand j’y pense aujourd’hui, j’ai le cœur qui se noue…

Cet homme s’était forgé une dure carapace,

Enfouissant son amour, comme on cache un trésor!

De profil on eut dit qu’il était un rapace,

Repérant une proie à travers les cieux d’or!

Cet homme était doté de grande intelligence,

Or, il ne fallait pas lui monter sur les pieds,

Il vous eut mis un poing très dur là où je pense,

A voir trente six chandelles vous fussiez conviés!

Mais c’était mon grand-père, et ça je lui pardonne.

Il corrigeait les fautes, des chefs, hargneux tocards!

Il avait ce cerveau qui acquiesce ou ordonne,

Mais plus têtu qu’un âne ruant dans les brancards!

Grand-père qui fut très bon malgré les apparences,

Avait en sainte horreur que quiconque le juge,

Et, quand il savourait une tranche de lard rance,

Il disait à grand-mère: “après moi le déluge!”

Il n’était pas très grand, les jambes en cerceau,

Et les muscles saillaient sur ses longs bras noueux,

Il portait sans faiblir des sacs de cent kilos,

Emplis de pommes de terre, c’était faramineux!

Force de la nature, doté de dents très saines,

Qui lui permettaient de couper des fils de fer,

Toute son énergie circulait dans ses veines,

Il avait le souci et à cœur de bien faire.

Il écrivait sans faute, d’une belle écriture,

Calligraphiée bien mieux qu’on ne fait aujourd’hui,

La lampe à pétrole augmentait sa stature,

Par les ombres portées sur le mur mal enduit!

C’est au chemin de fer qu’il fit toute sa carrière,

Poseur infatigable, il boulonnait des rails,

Sur des traverses en chêne, à la taille grossière,

Le tout dans un indescriptible bruit de ferraille!

Sa femme quant à elle était garde-barrière…

 

 

 

 

Très souvent désigné pour la sécurité,

On lui confiait alors la petite trompette,

Au danger, il sonnait avec témérité,

Une draisine passait en cornant à tue-tête!

Il était le dernier d’une famille de huit,

C’est pour cette raison qu’il ne fit pas la guerre,

La grande celle qu’on dit de quatorze dix-huit,

Où tant de combattants laissèrent leur peau naguère!

Il aimait sa maison qu’il avait réparée,

Le jardin la volière où s’égaillaient les poules,

Qui lui donnaient des œufs, sur le plat, préparés,

Et la vie s’écoulait comme un film se déroule!

A la fin des moissons il glanait des épis

De ce blé si précieux pour nourrir ses volailles,

Et la chèvre lui donnait du lait tiré au pis,

Grand-mère faisait des tommes de ce bon lait qui caille!

Si grand-père était fort, grand-mère était fragile,

Elle avait contracté une angine de poitrine,

Cependant son visage était resté gracile,

Au menu, lait caillé et pommes de terre fines!

 

Parfois la pauvre femme était prise de malaises,

Grand-père lui faisait une piqûre dans la fesse,

Sa main ne tremblait pas sur la croupe charmeresse!

Et le poêle ronflait, rougeoyant sur ses braises.

Il fut d’un bon soutien, envers sa femme tendre,

Cet homme très bourru, recelait un cœur d’or,

Il lisait son journal pour un peu se détendre,

S’attardant sur la page où s’inscrivaient les morts!

Quand l’un d’entre eux était un voisin, un ami,

Il allait le veiller dans la chambre fatale,

Il partait à vélo, de jour comme de nuit,

Dos courbé, appuyant très fort sur les pédales,

Il disait revenant: bah le mort m’a rien dit!!!

C’était une façon de narguer la camarde,

Mais je sais que cet homme n’avait peur de rien,

Il avait dans les yeux des lueurs égrillardes,

Après deux pots de rouge lampés chez Adrien!

Il eut trois jolies filles mais jamais de garçon,

Il sut les élever dans la stricte rigueur

Que lui avait transmise, un père dur comme chardon,

Un regard suffisait pour faire cesser les pleurs!

Les jours de fête grand-père allumait un cigare,

Et avalait comme il disait: “de la champagne”,

Le bouchon trituré, pétait sans crier gare!

Et cela résonnait comme l’écho des montagnes!

Dans sa bouche il mâchait des brins de tabac fort,

Qui lui donnait parfois des sursauts stomachiques,

Il crachait au dehors, indignant les pécores!

Et sa moustache gardait les restes du jus de chique!

A l’époque les gens, se lavaient à l’eau froide,

Une fois par semaine, sur la pierre de l’évier,

Et l’eau qui les glaçait, rendait leurs membres roides,

Le coupe-chou, chez eux, remplaçait le barbier!

 

Quand nous étions enfants, nous avions droit au bain,

Dans la benne à vendange chauffée par le soleil,

Et nous batifolions comme de gais chérubins,

Qui fussent sidérés de voir nos joues vermeilles!

Les lessives de printemps se faisaient au dehors

Dans un cuveau de fonte, jusqu’à l’ébullition,

Les draps étaient séchés sur l’herbe au vert décor,

Et doucement bercés par le chant des grillons!

Ca donnait un blanc à vexer les lavandières,

Qui tapaient fort le linge aux lavoirs communaux;

On les rémunérait à coups de lance-pierres,

Mais elles accomplissaient leur tâche le front haut!

Belles armoires du vieux temps, comme vous étiez grandes!

Vous gardiez dans vos flancs des trousseaux parfumés,

Ces dotes de mariées qui sentaient la lavande,

 Ces traditions, hélas, sont parties en fumée!

Je me souviens encor de ce vieux phonographe,

Dont les cylindres en cire grésillaient des chansons,

Vous apportant l’ivresse tout comme aux soûlographes,

Or, ce porteur de voix n’a plus de pavillon!

Grand-père se vêtait d’un pantalon de velours,

Tenu solidement au moyen de bretelles,

Chaussait des brodequins ou des sabots très lourds,

Y bourrant du papier en guise de semelle!

Il partait, lentement, la faux sur son épaule,

Autour du cou pendait une sorte de giberne,

Où il rangeait le “fusil”, la topette de gnôle,

Il allait simplement couper de la luzerne!

Personne, comme lui, n’aiguisait une faux,

Avec ce court fusil cité précédemment,

Il savait repérer le moindre des défauts,

Et ses yeux lançaient des éclairs au firmament!…

Il tressait de l’osier bien mieux qu’un bohémien

Façonnant des paniers à nul autres pareils!

(Ah, comme il le méritait son pain quotidien!)

Les mariées n’ont pas eu d’aussi belles corbeilles!

Grand-mère était très pieuse, lui, exécrait la messe,

Elle mangeait du Bon Dieu, lui mangeait de la soupe!

Les nourritures terrestres tenaient mieux leurs promesses,

La croyance, pour lui, était une entourloupe!

Autodidacte en tout, parfois, même fossoyeur,

Il mangeait bien souvent à côté d’une tombe

Ce Dieu qu’il n’aimait pas était son employeur,

Or, lui se délectait d’un envol de colombes!

Puis vint le jour fatal, où la “blême inhumaine”,

Vînt cogner à son huis pour dire: ” viens avec moi!”

Il se savait perdu, il lui dit: “quelle aubaine!”

Entrez, je vous en prie, c’est bon pour cette fois!…

Ô grand-père, ta maison, là-haut doit te manquer!

Tu dois l’apercevoir avec tes yeux si bleus!

Pour toi vois-tu j’ai cueilli ce joli bouquet

De roses, et je te l’offre, dis-moi: ” est-ce trop pompeux?”

Tu sais c’est difficile pour moi de dire adieu!

°°°°°

J’ai gardé de lui ce caractère irascible,

Une force à vous faire déplacer des montagnes,

Je peux tour à tout me montrer dur ou sensible,

C’est pourquoi, en ascète, je vis à la campagne…

***

©Daniel Marcellin-Gros

 

 

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