La fille des gares : Anne, ma belle Anne – Autobio Tome XXXIV – Jean-Marie Audrain

XXXIVLa fille des gares : Anne, ma sœur Anne

Totalement étrangère aux filles des pèlerinages, cette tranche de bio ne trouve même plus sa source. Le cadre de nos premières rencontres avec Anne fut le hall des composteurs de la gare de Denfert Rochereau à Paris. Lieu de notre première rencontre ? En tout cas lieu de longues attentes à chaque rendez-vous avec Anne. Souvenir d’un petite jeune fille au regard planant qui semblait toujours chercher vers où orienter ses pas. Je l’ai bien davantage contemplée qu’entendue. De Paris à Bourg la Reine, chaque mot prenait tout son temps pour sortir de sa jolie petite bouche avant de s’en échapper. A Bourg la Reine, elle finissait ses phrases et nous y restions longtemps à échanger. Sa vie apparaissait comme un puzzle auquel manquaient des pièces maîtresses. Une jeune sœur, un poste de préparatrice en pharmacie, une addiction aux drogues et une dépendance par rapport à un énigmatique dealer, un passé embrouillé à l’image de ses pensées. Elle avait besoin de partager tout cela avec moi, tout en me disant avoir du mal à admettre que ce tunnel pouvait avoir une fin.

Elle voyait que j’appréciais sa présence qui était principalement douceur et fragilité en attente d’une épaule sur laquelle reposer sa tête au visage admirable.

Cette relation perdura à l’image de son commencement : en pointillé et le long des rails. Je l’ai invitée à connaître ma famille et ma maman fut très heureuse de faire sa connaissance. A table, Anne gardait la tête baissée, les yeux dans son assiette qui était aussi pleine à la fin du repas qu’au début car elle n’y touchait pas. Ce rendez-vous hebdomadaire était devenu comme un rituel qui étonnait ma mère. Nous devions guetter ses mots et la levée de ses divines prunelles bleues tout le long de notre repas partagé. Anne appréciait ma mère, sa patience et sa gentillesse. Deux étages plus bas, nous nous retrouvions ensuite dans l’appartement de feu ma grand-mère paternelle. J’aimais follement tout ce que je voyais et découvrais d’Anne, me gardant cependant de découvrir davantage son corps très attirant afin de ne pas passer pour l’homme que je n’ai jamais voulu être.

J’avais, à l’époque, pour ami Jean-Louis, un ancien de Sainte-Marie d’Antony retrouvé à la Sorbonne. C’était un grand amateur de jolies femmes, mais dans un registre très mystique. Il prétendait qu’aillant une vie mystique fervente, rien de ce qu’il faisait avec les filles ne pourrait lui être tenu pour peccamineux par Dieu. Je lui ai dit deux mots d’Anne et il m’a rechanté son refrain habituel : « Tu ne sais pas y faire avec les filles. Tu les mets dans ton lit et ensuite elles te mangent dans la main ». Jean-Louis était le roi des baratineurs. Plus d’une fois je l’ai vu emmener une fille dans sa chambre pour lui lire les lignes de la main, lui dire qu’il y était écrit qu’ils se rencontreraient et qu’ils étaient faits l’un pour l’autre. Avec son look de taliban endimanché, il savait se montrer très persuasif et obtenait tout ce qu’il voulait sur le champ.

La fin de l’année universitaire arriva, et je n’eus plus d’occasion de recroiser Anne dans les halls et couloirs de RER, sans aucun plan B car elle n’avait jamais voulu que nous échangions nos numéros de téléphone.

A cette époque, Jean-Louis m’avait présenté toute sa bande d’amis et son frère Raoul. Il y avait principalement la fratrie que l’on nommait les poulains : Dominique, François et Jean-Philippe. Chacun nous présentèrent des amies à eux. C’est par eux que j’ai rencontré les superbes femmes qu’ils convoitaient , Fanny pour l’un ou Isabelle pour deux d’entre eux. Isabelle était vraiment un petit bijou au caractère bien trempé. La première femme avec qui j’ai remonté seul à seul tout le boulevard st Michel dans une joute politique de plus musclées à l’approche des élections présidentielles. C’était une chrétienne aussi mariale que socialiste convaincue, à une époque où cumuler les deux faisait désordre. Je ne sais si ce sont ses mots ou ses yeux pétillants qui ont contribué à entamer une brèche dans mes préjugés : une femme pouvait être une militante convaincante, à la mesure de son charme. Les deux plus jeunes poulains et moi l’avons même suivi à l’autre bout de la France, au pays de l’authentique cassoulet, dans une ferme jouxtant Castelnaudary. La malchance me valut de me faire piquer par un frelon qui fit enfler ma main à outrance avec une douleur insupportable. Me retrouvant hors service, cette épreuve conforta mon rôle de spectateur de la Comédie humaine et je regardais avec intérêt les jeux de l’amour et de la providence entre Isabelle et ses soupirants.

J’ai acheté la voiture de Maria, l’amie d’Isabelle, et je suis remonté sur Antony avec bon espoir de retrouver Anne sur un quai à la prochaine rentrée.

Ce furent de belles retrouvailles et j’ai eu envie de partager ma joie avec Jean-Louis qui n’était pas descendu dans le sud avec nous. Il me dit que ses parents lui laissaient leur maison le week-end suivant et qu’il comptait sur moi pour la remplir de nouveaux amis le temps d’une soirée festive. En une journée, l’effectif était au complet et comprenait non seulement Anne, mais aussi sa sœur. Je pensais qu’elle pourrait plaire à Jean-Louis en l’y invitant. Pendant que ce dernier finissait d’installer la sonorisation, Anne et moi déposions nos effets dans une chambre servant de vestiaire. Les jours précédents, nous nous étions dit combien nous tenions l’un à l’autre et que j’espérais que mes amis lui assurerait le meilleur accueil.

Je n’aurai pas pu mieux dire car à peine nos manteaux déposés que Jean-Louis vit Anne et me prit à l’écart pour me dire ‘Mais elle est trop belle cette Anne, c’est la femme de ma vie ». Il l’invita dans la chambre d’à côté, lui lut les lignes de la main et l’invita à découvrir la décoration de son antre au sous sol. C’est ainsi qu’Anne et Jean-Louis connurent leur première nuit d’amour, que Jean-Louis eu la délicatesse de me raconter par téléphone dès lendemain.

Il commença même à m’appeler tous les soirs car Anne était impossible à cerner et elle cherchait à le fuir, pour l’heure suivante revenir vers lui. Il ne savait que faire au sujet de ses addictions. Sa spécialité professionnelle était la vente delules de vitamines et de minéraux. Le lendemain il me rapporta d’ailleurs un plein sac de boites de Vitamines de A à Z pour me remercier de lui avoir « donné Anne » selon ses termes. J’avoue que j’en avais bien besoin pour tenir le choc.

Après deux mois d’appels quotidiens pour recevoir mes conseils, après avoir voulu l’oublier dix fois et la reprendre avec lui une onzième fois, il m’annonça qu’Anne avait suivi une psychothérapie et allait beaucoup mieux, à telle point qu’il lui proposa de l’épouser. Il cru décent de ne pas me convier à ses épousailles. Anne lui fit deux adorables petites filles prénommées Marie et Fleur. Jean-Louis m’invita à venir faire leur connaissance. Avec un bonheur infini je pus ainsi revoir Anne dans son état de plus bel épanouissement. Jean-Louis était très pris par son travail et rentrait tard le soir, aussi Anne me proposa t-elle de revenir lui rendre visite. Durant des semaines nous nous sommes retrouvés comme au bon vieux temps, et même dans des échanges encore plus beaux. J’ai pu ainsi un peu voir grandir ses filles ; Parfois Jean-Louis arrivait avant mon départ et allait directement dans le séjour se saisir aussitôt de son téléphone pour transférer le compte rendu de ses ventes à son patron. Ce procédé pouvait durer une heure, ce qui me laissait un peu de temps supplémentaire pour parler avec Anne dans le salon ou dans la cuisine. Anne se plaignait des longues journées d’absence de Jean-Louis et du travail qu’il exerçait à la maison en arrivant le soir. Son bonheur, elle le trouvait dans ses filles.

Jean-Louis reprit l’habitude de m’appeler le soir. Il sentait Anne changer. Elle s’éloignait du christianisme et avait mis un pied de le bouddhisme et l’autre dans le mouvance d’Arnaud Dujardin. Ce qui devait arriver arriva, elle le quitta pour un disciple de ce dernier et alla vivre à Bourgoin-Jallieu dans le pays lyonnais.

Au dernières nouvelles, les frères poulains n’eurent pas plus de chance que moi : aucun n’épousa Isa la belle.

De son côté, Anne garda sans défaillir le silence radio tant pour Jean-Louis que pour moi. Anne me laissera une indéfinissable impression de mystère et d’un bonheur qu’elle n’aura su que frôler. Peut-être lirais-je un jour, ici ou là, la fin de l’histoire. Dans un livre d’ Arnaud Dujardin.

Nombre de Vues:

5 vues
Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (519)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

S'abonner
Me notifier pour :
guest

9 Commentaires
Commentaires en ligne
Voir tous les commentaires
Anne Cailloux
Membre
9 décembre 2020 21 h 04 min

Quelle fluidité dans vos souvenirs, touchant, émouvant. Touché presque coulé. Je m’appelle Anne et j’ai souvent trainé à Denfert.. c’etait presque moi. Bravo

Emilie Bonnet
Emilie Bonnet
Invité
9 décembre 2020 14 h 45 min

Magnifique.les mots me manquent

Beth Holland
Beth Holland
Invité
9 décembre 2020 9 h 56 min

Une plume toujours aussi agréable et un récit très touchant.

Grant Marielle
Invité
9 décembre 2020 7 h 47 min

Cette tranche de ta vie Jean-Marie, me touche profondément : on y voit cette belle jeune femme que tu as aimée avec toute la délicatesse dont tu es capable; mais aussi, ta bonté et ta fidélité envers tes amis, dans des circonstances pas toujours réjouissantes pour toi!

jocelyne
jocelyne
Invité
8 décembre 2020 17 h 15 min

bonsoir et bien décidément tu n as pas de chance avec les femmes; courage a toi
il est grand le mystère de la FEMME!!!