Marqué en profondeur, hanté par la mort de sa mère, impressionné par les paysages et les légendes du Valois où il est élevé à Mortefontaine par son grand-oncle maternel Antoine Boucher car son père est médecin militaire dans la Grande Armée, Gérard Labrunie sera un jeune homme doué (à 18 ans, il traduira le Faust de Goethe), mais déjà en déséquilibre. Ramené à Paris par son père démobilisé avec lequel il ne s’entend guère, après des études au lycée Charlemagne, il s’agrège à la bohème littéraire, au groupe enthousiaste et brillant des jeunes Romantiques : les « Jeunes France » qui déclenchèrent la « bataille d’Hernani », et il prend le nom de Nerval à un clos que possédait à Mortefontaine sa famille maternelle. Il participe à la vie littéraire et politique. Il écrit des poèmes (des « odelettes » telles que « Fantaisie »), des pamphlets, des pièces de théâtre sans grand succès, des contes dont La Main de gloire.
« Fantaisie » est un poème très célèbre dont le texte est reproduit plusieurs fois sur Google. Parue en 1832 dans Les Annales romantiques, cette odelette annonce « l’épanchement du rêve dans la vie réelle » ; plus encore l’œuvre entière, pour qui sait la déchiffrer, rougeoie, sous cette courte pièce, comme le reflet d’un incendie lointain au ras de la nuit…
Libéré pour un certain temps des soucis matériels par un héritage important, il voyage en Italie, en Orient, en Belgique, aux Pays-Bas, à Londres, en Allemagne et, dira-t-il, jusqu’à la tombe de sa mère en Silésie, (de ses voyages, il fera en 1851 un récit quasi initiatique dans Voyage en Orient), il fait la fête rue du Doyenné avec un cercle d’amis, il continue à écrire et il s’éprend d’une actrice du même âge que lui, Jenny Colon, « blonde aux yeux noirs » comme dans « Fantaisie ». Cette passion malheureuse (Jenny se mariera deux fois loin de lui et mourut en 1842), ses errances giratoires dans les bas-fonds de Paris (qu’il décrira en 1852 dans ses Nuits d’octobre) et sa détresse matérielle et morale précipitent son destin. Crise après crise, s’ouvrent devant lui les chemins de la démence (il sera six fois interné) qui le conduiront lors de la glaciale nuit du 25 au 26 janvier dans la sinistre ruelle de La Vieille Lanterne au Châtelet. Au matin, on l’y trouva pendu à une rambarde non loin d’un bouge abominable aux carreaux noyés de petit jour et purifiés par la neige.
Il laisse aussi à la postérité huit poèmes (douze sonnets) étranges écrits entre 1843 et 1853, publiés à la fin des Filles du feu, intitulés Les Chimères et qui demeurent difficiles à expliquer :
« Je suis le Ténébreux – le Veuf – l’Inconsolé
Le prince d’Aquitaine à la tour abolie
Ma seule étoile est morte – et mon luth constellé
Porte le Soleil noir de la Mélancolie. »
Pour ces sonnets, inlassablement, parce que, sans doute, il pressent la mort qui l’appelle sous la misère et la folie qui rôde et gronde, il poursuit ses recherches occultes. Il chante le retour espéré des “anciens dieux”, donc du passé, donc de sa mère. Il rêve de faire tenir le temps d’une vie – de sa vie – dans une ronde (mot clé chez lui : voir la ronde de Sylvie et d’Adrienne), un espace de plus en plus serré, circulaire et ainsi justifié.