De l’autre côté du mur du son – Jean-Marie Audrain

 

Lors des élections et au milieu des conflits sociaux, on entend souvent que s’y affrontent deux France, deux mondes. J’ai justement la chance de vivre immergé dans deux mondes, plus particulièrement à ma cantine où cohabite collègues entendants et lycéennes sourdes.

On dit souvent que les sourds sont tristes et taiseux. C’est bien mal connaître leur monde.

Mettons en parallèle ces deux mondes, de chaque côté du mur du son.

A table, les entendants mangent seuls à une table, le portable contre l’oreille ou les yeux sur un clip avec oreillette dans l’oreille. Quand ils mangent à une même table, c’est un brouhaha dans lequel tout le monde parle et mâche en même temps, sans s’écouter ni se regarder. Monologues de intestins diront certains. Des visages impassibles comme ceux du musée Grévin à Paris. Des visages de cire. De bien tristes sires inexpressifs.

A la table des sourdes, le dialogue commence avant même qu’elles ne s’assoient, via des gestes de bienvenue alors qu’elles ont encore leur plateau sur les bras. Et pas de messe basse entre elles, car c’est toute la cantine qui peut participer aux dialogues, que dis-je, aux « multilogues ». Chacun peut confirmer d’un geste avoir bien compris le message de l’autre par un geste de la main. Et le reformule souvent à sa façon. Et la réponse est visble de toute la salle. Par exemple si on trouve une phrase bête, on ne se prive pas de le montrer à tous haut et fort. En résumé, à cette table, on parle avec ses mains et avec son visage.

Par ailleurs, un même mot se décline toujours de façon très personnelle.

Pour un entendant, le mot bon, c’est « bon ». Comme le verbe aimer c’est « j’aime ».

En s’exprimant, le sourd décline sa façon d’aimer, ou non, au moment où il le dit. Tout le corps entre en dialogue. Attardez-vous à lire leurs « j’aime » un peu, beaucoup, passionnément, et leurs « je n’aime pas ». Les sourds sont sûrement tous des gens du sud conclurez-vous, à tort.

Emmanuelle Laborit qui fut mon élève en classe de philosophie au Cours Morvan à Paris appréciait ce côté « public » du dialogue entre sourd. Celle que, petit, on surnommait « La mouette » à cause de ses cris, est naturellement passé de la vie du lycée à la vie du théâtre gestuel et elle est devenue la directrice d’IVT (International Visual Theatre) juste avant d’être récompensée pour son rôle dans Les enfants du Silence, pièce de Jean Dalric.

Nous avons, je pense, beaucoup à apprendre de l’autre monde, ce monde de l’autre côté.

Ici, c’est du côté du son, mais le même intérêt peut s’appliquer à tous les murs : ceux des croyances, des idéologies, des clans etc

Je vous donne-donc rendez-vous de l’autre côté du mur… du son ..ou de celui à votre convenance. Pour une confrontation de points de vue… ou de point d’audition !

Pour une meilleur entente, comme de bien entendu.

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Jean-Marie Audrain

Jean-Marie Audrain (693)

Né d'un père photographe et musicien et d'une mère poètesse, Jean-Marie Audrain s'est mis à écrire des poèmes et des chansons dès qu'il sut aligner 3 mots sur un buvard puis trois accords sur un instrument (piano ou guitare). À 8 ans, il rentre au Conservatoire pour étoffer sa formation musicale.
Après un bac littéraire, Jean-Marie suit un double cursus de musicologie et de philosophie à la Sorbonne.
Il se met à écrire, dès cette époque, des textes qui lui valurent la réputation d’un homme doublement spirituel passant allègrement d’un genre humoristique à un genre mystique. D’ailleurs, il reçut de la SPAF (Société des Poètes et Artistes de France) un grand diplôme d’honneur en ces deux catégories.
Dans ses sources d’inspiration, on pourrait citer La Fontaine, Brassens et Devos.
Lors de la naissance du net, il se prit à aimer relever les défis avec le site Fulgures : il s’agissait de créer et publier au quotidien un texte sur un thème imposé, extrêmement limité en nombre de caractères. Par la suite il participa à quelques concours, souvent internationaux, et fut élu Grand Auteur par les plumes du site WorldWordWoo ! .
Il aime également tous les partenariats, composant des musiques sur des textes d’amis ou des paroles sur des musiques orphelines. Ses œuvres se déclinent sur une douzaine de blogs répartis par thème : poésie, philosophie, humour, spiritualité…sans oublier les Ebulitions de Jeanmarime (son nom de plume). Un autre pseudo donna le nom à son blog de poésies illustrées : http://jm-petit-prince.over-blog.com/
Pendant longtemps il a refusé de graver des CD et d’imprimer ses œuvres sur papier, étant un adepte du principe d’impermanence et méfiant envers tout ce qui est commercial. Malgré tout il vient d'autoéditer le florilège de toute en vie et dans tous les syles : https://www.amazon.fr/Petit-Prince-Mots-dit/dp/B0BFVZGNYM et d'écrire des chansons pour 3 CD d'Ophélie Morival (puis pour d'autres voix amies) : https://www.youtube.com/watch?v=Q0bvWkljrlw.
Si vous ne retenez qu’une chose de lui, c’est que c’est une âme partageuse et disponible.

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9 Commentaires
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Colette Guinard
Membre
28 avril 2022 17 h 00 min

De l’autre coté du mur les malentendants,bénéficient d’une plus grande dimension dans le silence ! Bonne soirée à toi Jean Marie

Hélène Lebougault
Membre
28 avril 2022 14 h 36 min

Entendre n’est pas écouter
Voir n’est pas observer
Sentir n’est pas humer
Goûter n’est pas savourer
Toucher n’est pas ressentir…

Pascale Jarmuzynski
Membre
28 avril 2022 14 h 32 min

Toujours, toujours plus avec Jean Marie 😉… Jusqu’à atteindre… L’inataniable … 😏

Hélène Lebougault
Membre
28 avril 2022 14 h 27 min

Tu montes encore dans les hauteurs….
Celles du son
Une fois passé le mur du son😉

Plume de Poète
Administrateur
28 avril 2022 10 h 47 min

Alors là j’ai mis 5 étoiles parce que pour un dialogue de sourds il est vraiment très explicite et bien formulé, bravo !