LIII – Corinne la prude, dear Prudence
Corinne était le plus charmante des mâconnaises. J’avoue ne plus savoir comment nous nous sommes connus. Dans un cas pareil, on se dit volontiers qu’on a l’impression de se connaître depuis toujours. C’est évidemment faux, mais ça fait rougir, rêver et ça flatte l’imagination.
Corinne avait toujours voulu exercer le métier de coiffeuse et avait suivi la formation adéquate. Hélas, ce n’est qu’une fois qu’elle fut engagée par un salon qu’elle s’aperçut qu’elle était allergique à l’acétone.
Corinne faisait partie de ces nombreuses amies qui ont eu une vie affective insouciante durant des années, jusqu’à ce qu’un je-ne-sais-quoi-presque-rien s’immisce dans la machine, tel un grain de sable qui remet tous les rouages en question.
Corinne avait eu un enfant avec un « copain » alors qu’elle prenait la pilule et que celui-ci se dotait d’un préservatif. Elle enfanta ainsi d’un petit garçon dont le papa ne voulait pas, ayant tout fait pour ne pas procréer. La maman se retrouva donc seule avec son fiston, qu’elle non plus n’avait jamais désiré. Par bonheur ses parents l’avaient quasiment adopté et toute la famille avait décidé de s’investir dans une église évangélique qui serait sa seconde famille. Le pasteur martela à Corinne qu’elle avait récolté ce qu’elle avait semé car la Bible interdirait toute relation sexuelle avant le mariage. De toute façon Corinne avait d’elle-même tiré la leçon de sa brève aventure ayant viré à la mésaventure.
A la fin d’un exercice de prêche sur le sujet, le pasteur déclara au micro que l’Eternel venait de lui parler pour lui dire qu’il destinait Gilles à Corinne. Cette dernière fut aussi étonnée que ravie. Au moins elle n’aurait pas à perdre de temps à convoiter untel ou untel.
Gilles apportait à Corinne, plusieurs fois par semaine, des cadeaux somptueux, des grands crus de Bourgogne, des bijoux de grands joailliers, des visons de grands couturiers. Corinne le laissait faire puisque, selon son pasteur, c’est l’homme que l’Eternel lui destinait. Et puis ce « promis » ne se disait-il pas plein aux as en tant que directeur d’une grande société de diffusion de produits de luxe.
Cette habitude perdura six mois, jusqu’à ce qu’à l’heure du rendez-vous, Corinne ouvrit la porte et découvrit non plus Gilles, mais une belle dame. Celle-ci se présenta comme l’épouse légitime de Gilles. Ce qui l’amenait n’était pas que son mari la trompe, elle savait qu’il ne pouvait pas s’en empêcher, mais que celui-ci vole les marchandises qu’il était censé vendre en porte à porte. Quitte à devoir les rembourser. Corinne fut contrainte de rendre à cette femme la majorité des cadeaux de Gilles, exception faite des bouteilles bues avec lui. Bien évidemment elle regretta, moins que jamais, de s’être gardé d’avoir avec lui les mêmes relations charnelles qu’avec le père de son fils, pratiques interdites par son pasteur de toute façon.
C’est peu de temps après que j’ai rencontré Corinne. Son fils était alors hébergé par ses parents et nous avions son appartement pour nous deux seuls. Son papa et elle venaient me chercher à la gare de Mâcon. Son papa apportait avec lui une des meilleures bouteilles de sa propre cave, sa fille lui ayant parlé de mes affinités familiales pour les grands crus de Bourgogne. Corinne ne savait pas seulement manier le séchoir à cheveux, mais aussi le four, comme une maîtresse femme. Nous nous régalions en écoutant d’excellents CD de chants évangéliques, car elle n’écoutait plus que cela. Les premiers temps nous parlions beaucoup de Gilles, de sa femme et de leur pasteur. Les week-ends, nous aimions nous promener le long de la Saône. Elle avait décidé de changer d’église et venait avec son fils et ses parents à l’église catholique du collège-lycée dans lequel son fils était scolarisé. La prophétie de son pasteur avait refroidi toute sa famille quant à sa fiabilité.
Corinne avait obtenu une formation pour s’initier à la bureautique. Désormais, tout son avenir était là, même si elle vivait cela comme une sorte de punition. Mes visites, elles, étaient sa consolation. Elle n’avait qu’une idée en tête : se marier et fonder une famille, principalement pour donner un père à son fils. Mais il n’était pas question, pour elle, de risquer d’avoir d’autres enfants, donc s’installèrent durablement entre nous des relations des plus platoniques qui n’aidèrent pas au discernement.
Après un petit an de visite mensuelles, j’estimais venu le temps de prendre une décision et je m’accordai, avec sa complicité, une semaine de jeûne et de prière, chose d’autant plus légitime que c’était le carême.
Je l’ai appelée après cette pause silencieuse pour l’informer que notre relation n’aurait pas de lendemain, précisant que je n’éprouvais ni remords ni regrets. Elle l’a tout à fait compris, ayant pareillement prié de son côté. Ce fut une très belle histoire qui se devait de finir tôt pour finir bien.
Une histoire très douce au parfum d’intimité et de chaleur, comme cette belle jeune femme…
Corinne était en effet maîtresse des parfums des plus grands créateurs, dont Nino Ricci.