XVII – CEP à sorciers – Savoir faire face à la Sorbonne
Au sortir de chaque cours, j’aimais me rendre dans cette ancienne boutique qui arborait dans une vitrine une copie des Oiseaux de Georges Braque et dans l’autre un cep de vigne . Entre les eux, une porte estampillée CEP Sorbonne. Des étudiants poussaient cette porte pour demander la signification de cet acronyme. En fait la réponse n’était pas celle que l’on attendait : le CEP est bel et bien le cep de vigne qui est Jésus-Christ !
On laissait les étudiants se lancer dans mille hypothèses : Communauté des Étudiants Protestants etc avant de leur donné la bonne réponse. Ainsi se nouait un dialogue.
Comme il y avait continuellement des temps de battement entre mes cours, je poussais cette porte et je me retrouvais comme dans un second chez moi avec immense séjour, chambres et pièces d’eau.
Je n’ai jamais cherché où pouvait se trouver la cafétéria de la Sorbonne car je préférais l’intimité de ce lieu très convivial et surtout silencieux. Le tout venant pouvais se permettre d’aller se faire un thé ou un café à la cuisine étant invité, en y pénétrant, à laisser sa participation à l’achat des denrées, avec une évaluation symbolique : 50 centimes. Le prix d’un sachet de thé Éléphant. Tacitement je me suis retrouvé à certaines heures comme le « permanent » du lieu et j’assurais l’accueil du tout venant qui n’était pas obligatoirement un tout étudiant car des personnes seules et/ou démunies ne manquaient jamais de pousser la porte de ce lieu atypique dans lequel il n’y avait rien à vendre mais tout à recevoir.
Un jour, en arrivant j’aperçois un jeune maghrébin en train de se laver les pieds dans l’évier de la cuisine. Après avoir reçu mon salut de bienvenue il s’est tout de suite présenté à moi : je m’appelle Ali Maouchi, je ne suis pas chrétien, mais j’avais besoin de me laver les pieds car je porte de trop vieilles chaussettes et l’odeur de mes pieds fait fuir les gens. J’ai pris Ali par la main pour l’emmener dans un magasin vendant des chaussettes (neuves évidemment) pour lui en offrir quelques paires. Cela n’était pas le but de mon geste, mais Ali devint ainsi l’un de mes meilleurs amis se sentant accueilli en frère au CEP comme chez mes parents.
Je vous dresse un bref portrait de l’équipe animatrice de l’aumônerie : Jacques, jeune prêtre en civil arborant un sourire angélique, Jean-François, prêtre plus âgé en costume, reconnaissable à sa croix et à son sourire malin, et toujours une étudiante qui secondait Jacques (d’abord Christine, ensuite Brigitte). Parfois y venait aussi Alain, jeune prêtre strictement vêtu d’un clergyman anthracite rappelant la couleur de la soutane de Don Camillo.
Il y eu une grande réunion de rentrée. Chacun pouvait y inviter ses amis, étudiants ou non. A mes côtés se sont donc retrouvés Ali et Michel. Chacun était invité à se présenter ou à présenter son invité. Ali s’est présenté par une boutade kabyle et Michel s’est mis à chanter avec moi That’ll be the day (when I die) pour se présenter comme mon ami de coeur et de choeur (on chantait continuellement ensemble). Une façon aussi de dire qu’il était étranger au monde des cantiques n’étant pas spécialement croyant, mais qu’il avait une voix capable de tout chanter et même de ponctuer les phrases du refrain de divers onomatopées en y glissant, ou gloussant, des hou hou hou très sixties. Après un apéro dînatoire partagé, Jacques lança l’idée de créer des groupes par affinités qui se réuniraient toutes les semaines sous formes d’ateliers. Après des propositions plus classiques, j’ai proposé le lancement du groupe Création avec l’argumentaire suivant : une parabole évangélique nous dit de ne pas gâcher nos talents (une pièce mais aussi un potentiel), aussi étant persuadé que chacun et porteur de talents, cachés ou révélés, ce groupe se réunirait tous les lundis (après un week-end roboratif) pour mettre en commun ses créations et aussi pour en réaliser une commune à partir du récit biblique de la Création. Une douzaine de doigts s’étant levés, le groupe était…crée !
Vous avez constaté combien trouver sa place au CEP n’est pas sorcier !
C’est passionnant ta biographie. Et la façon dont tu écris magistrales. Félicitations. ????