XV – Mon année primo sorbonnarde – Jour 1
Vous raconter par le menu détail mon odyssée dans la jungle sorbonnarde serait aussi volumineux et fastidieux que les tonnes de papiers à remplir pour s’y faire admettre, aussi vais vous présenter cette première année de façon plus pointilliste, sans prétendre être le Seurat ou le Signac de la narration.
Pour les novices, je rappellerai qu’en débutant ses études à l’université, on rentrait début septembre en première année de DEUG (Diplôme d’études Universitaires Générales) et que le cursus se divisait en une douzaine d’U.V (Unités de Valeur), les unes majeures (obligatoires), les autres mineures (à choix libre mais limité en nombre d’UV présentées). Les U.V majeures se déclinaient en cours en amphithéâtre commun et en TD -travaux dirigés) par petits groupes dans de plus petites salles.
Mon premier cours était un cours magistral de philosophie générale et sur l’estrade de l’amphi Descartes trônait le célèbre Roger Caillois. Il nous fit un portrait très littéraire de la philosophie générale de sa voix haut perchée, si volubile et enthousiaste qu’il nous faisant oublier son grand âge (il décédera deux ans plus tard). Il partagea avec nous les auteurs dont la rencontre a éclairé son univers mythologique, comme Mircea Eliade. Comme lors de toute ma scolarité, je m’étais placé au premier rang juste en face notre orateur. Soudainement, juste à ma gauche, se mit à retentir un véritable mitraillage : il s’agissait d’une étudiante non voyante qui prenait des notes en braille en gravant par perforation une plaque de cuivre à l’aide d’un stylet et d’un guide-doigt.
Le second cour magistral nous faisait découvrir une autre sommité : Jean-Pierre Marion, spécialiste de l’Histoire de la philosophie. Contre toute attente, il parlait encore plus vite que Roger Caillois, si bien qu’une heure de cours signifiait pour nous remplir au minimum 10 pages en diverses langues, dont du latin et du grec, le tout émaillé de nombreuses références à retrouver à la bibliothèque de la Sorbonne en allant fouiller dans les antiques tiroirs en chêne usé pour en extraire la fiche et réserver ledit ouvrage le premier.
Je vous ferai grâce des autres cours magistraux de mes UV « majeures », mais je compléterai celui-ci en vous parlant du cours magistral d’une de mes UV « mineures » : Esthétique. L’amphi débordait de partout car il attirait des auditeurs d’autres disciplines et même des auditeurs libres. Un prof très original nous bombardait d’un tir encore plus nourri de références d’ouvrages à aller consulter à la bibliothèque. S’étant aperçu que des étudiants quittaient l’amphi en direction de la bibliothèque, les uns pour emprunter le livre, les autres pour en arracher la page citée, ce prof en était venu à citer des livres qui n’existaient pas. Le bibliothécaire en serait venu à s’en arracher les cheveux.
Du coté des salles de TD, l’ambiance était bien différente. En histoire de la philosophie, monsieur Rousseau nous faisait étudier La République de Platon qui est un pavé complètement à par dans l’oeuvre du disciple de Socrate qui y délaissait les dialogues au profit d’une démonstration historique sur l’enchaînement cyclique des régimes politiques, le dictatorial ne pouvant que succéder au laxiste. Cet enseignant nous invita à l’une de ses conférence hors les murs sur le sujet.
Je fus le seul de ce TD à y avoir répondu favorablement et j’y ai découvert, à mon grand étonnement, un maurassien convaincu, nostalgique de l’Action Française. Selon lui le laxisme giscardien ne pouvait qu’appeler au pouvoir Jean-Marie Le Pen.
Sortant de cette petite salle, j’avais besoin d’air physiquement, intellectuellement et spirituellement. J’ai alors suivi un fléchage indiquant l’aumônerie Sorbonne-Panthéon . J’y fus accueilli par une charmante jeune femme prénommée Christine qui me présenta Jacques, l’aumônier du lieu. Le courant est tout de suite bien passé et celui-ci m’annonça que l’aumônerie allait prochainement quitter ce petit appartement de la place de la Sorbonne pour prendre la place d’une petite librairie juste en face de la Sorbonne qu’il cherchait un guitariste pour animer la messe de pendaison de crémaillère avec lui qui était guitariste et chanteur mais n’avait que deux mains. Je devais vraiment avoir une tête de guitariste et je me suis tout de suite porté volontaire. C’est à cette occasion que Jacques m’a appris à jouer et chanter les chansons de son ami Jean Humenry. Un style bien loin des cantiques que je connaissais. On y chantait la prison et la liberté, la pauvreté et le partage… Pour moi ce fut une révélation et une invitation à écrire de telles chansons poétiques et engagées, ni cantoche ni variétoche.