Petite fable affable… pas si jeunette
Un jour d’automne où la gelée était blanche,
Un bûcheron sans âge sciait la branche
D’un arbre s’élevant au-dessus d’un lac.
Soudain, maladresse. La scie tombe à l’eau
Dans un grand fracas qui fait fuir les corbacs.
L’homme, tout en pestant d’être si ballot,
Pleurait sur les malheurs venant au galop
Dans une vie où, sans entrain, les joies marchent
À vous : sans scie, la faim lui f’rait vite une arche !
Une belle ondine, touchée par tant de larmes
Apparut, offrant à sa vue tous ses charmes.
Elle le questionna sur son désespoir ;
Il lui dit la vérité, aussi nue qu’elle.
Elle plongea et remonta, sans surseoir,
Une scie à lame d’or noir pour laquelle
Plus d’un sot se damnerait mais à laquelle
Il n’aspirait pas : « Dame, elle est pas à moi ! »
Le bûcheron refusa, sans plus d’émoi,
La seconde qu’elle lui tendit, à lame
D’argent gris, mais accepta, la paix à l’âme,
Le troisième outil, tout de fer et de bois,
Car il était sien. Qu’il fut aussi honnête
Toucha l’ondine qui lui offrit les trois
Objets sans prix de sa lacustre cueillette.
Et, aussitôt, disparut la blondinette.
Le bûcheron put rentrer, heureux, chez lui
Sous un ciel qui pleut mais où le soleil luit.
À quelques mois de là, longeant la rivière,
Le bûcheron vit tomber, comme une pierre,
Dans les eaux, sa femme qui l’accompagnait.
Lui, ne sachant pas nager, pleura la perte
De son aimée, en s’arrachant, par poignées,
Les derniers cheveux dont sa tête est couverte.
L’ondine apparut, sa nudité offerte
Aux nues encore, et le questionne à nouveau.
L’homme lui répond en pleurant comme un veau.
Elle plongea dans les flots froids. Puis l’ondine
Lui ramène une beauté adamantine
Sur la berge. Le bûcheron applaudit
Qu’elle lui ramenât vite, saine et sauve,
Son épouse chérie par l’eau engloutie.
« Comment peux-tu me mentir, sale vieux chauve !
Tu sais ma bonté mais je peux être un fauve !
C’est ma cousine, d’un remous élevée :
Comme la première fois, je t’éprouvais !
– Si je t’avais refusé cette sylphide,
Une autre serait venue… Et puis, Perfide,
Tu m’aurais redonné ma femme, pas vrai ?!
Comme la première fois, à ma garde
Tu aurais laissé les trois. Je ne l’pouvais :
La polygamie rend la loi furibarde…
Et j’n’aurais pu les nourrir. Vois mes hardes !
Voilà pourquoi j’ai préféré te mentir !
– Toi, pauvre ?! Mais, par Dieu, je vais t’engloutir
Qu’as-tu fait de l’or et de l’argent des lames
Données jadis contre tes larmes et blâme !
– N’as-tu remarqué tous les lourds bijoux
Dont ma femme est ornée ? Ses habits de fête ?
Et si tu voyais les meubles d’acajou
Qui ornent notre maison toute refaite ?
Non, je n’aurais pas pu, je te le répète
En entretenir trois comme celle-là.
Voilà pourquoi moi, si probe, j’en suis là ! »
La morale de l’histoire, Enfer et flammes,
C’est que les Hommes, eux, ne mentent jamais
Que pour de très honnêtes raisons, Mesdames,
Logiques et compréhensibles. Ah, ça mais !
© Christian Satgé – janvier 2013