Psychologie de la soucoupe – Véronique Monsigny

PSYCHOLOGIE DE LA SOUCOUPE selon Véronique Monsigny

Je  consulte un psy  parce que je me sens seule, dépareillée… et voila : syndrome d’abandon. Que m’est-il arrivé ? Vous n’avez pas l’air dans votre assiette ! Oh rien, presque rien… j’ai perdu ma tasse voilà tout ! Alors reprenons au commencement.

Nous étions un magnifique service à thé, en porcelaine grise claire, avec une plume qui nous appareillait, du creux de ma tasse à mon flanc droit (enfin, eux ne disent pas flanc, ils disent « le bord de la soucoupe »). Il faut dire que nous étions un service très chic, très raffiné. Notre famille comptait douze membres pas moins !

Au début, comme pour l’enfance, c’est le bonheur, on vous dorlote, on vous admire… vous êtes au centre des conversations. On vous élève délicatement à la hauteur des yeux pour vérifier la finesse de la porcelaine. On vous porte aux lèvres pour un baiser furtif. On vous caresse du bout des doigts par simple volupté…

Et puis, petit à petit, notre famille se disperse, se raréfie.  Je ne sais où ils vont, c’est comme une migration vers un pays lointain et inconnu qu’eux nomment « poubelle ».

Au bout du compte, on se retrouve seules ma tasse et moi et bien sur nous ne servons que pour les tisanes solitaires de Madame ! Quelle déchéance pour des tasses à thé !

Là mon psy m’arrête et me dit : c’est très bien, vous me racontez votre vie de votre enfance à vos vieux jours, mais parlez moi un peu de vos relations avec votre tasse…

Et là, je fonds en larmes… ma tasse a migré elle aussi vers la poubelle … sniff ! Elle me manque ! Je l’aimais tant… oh pourquoi es tu parti… je t’aime… je te déteste…je te hais…

Bon, me dit mon psy, vous l’aimez ou vous la détestez ? Il faudrait savoir !

Ben, en fait, je ne sais pas ! Je l’ai toujours connue, nous sommes nées ensemble… mais elle, elle a toujours été la préférée…

Ils  saisissent délicatement la tasse entre deux doigts, la portent à leurs lèvres, la boivent voluptueusement… et la soucoupe la plupart  du temps reste  sur la table quand ce n’est pas dans le placard ! La tasse est décorée, choyée, remplie, quand la soucoupe et blanche, ignorée et vide…

Oui, me dit le médecin compréhensif, vous vous sentez abandonnée mais en même temps délivrée de cette tasse qui finalement vous pesait, vous faisait de l’ombre….

C’est cela, je suis seule, perdue et soulagée, effrayée et intriguée par l’avenir qui m’attend… j’ai changé d’étage, je suis passée de la pile des tasses à celles des assiettes. Peut-être est-ce cela la seconde vie, la seconde chance dont on parle parfois. Je vais aujourd’hui mener une vie autonome d’assiette plutôt que celle  de « sous » quelque chose ! Finalement je suis assez excitée de voir la suite.

solitude

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Véronique Monsigny

Véronique Monsigny (204)

J'ai commencé à écrire des poèmes à l'âge de 60 ans. Ce n'est pas moi qui les ai cherchés, ils se sont imposés à moi comme une bouffée d'air pur au moment de la retraite. Enfin laisser parler les mots qui dorment en moi !
J'ai lu Victor Hugo et Lamartine à l'adolescence, puis Aragon et Baudelaire un peu plus tard. Brassens a bercé mon enfance. Ils m'ont appris à rimer en alexandrins.
Le virus était en moi. Il y a sommeillé le temps de travailler, d'élever mes enfants, de taire mes maux pour mieux m'occuper de ceux des autres.
Et voilà le flot de mes rimes sur lesquels je navigue aujourd'hui, au gré des jours bons ou moins bons. Ils me bercent, ils m'apaisent... je vous en offre l'écume du jour.

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