Le musicien stoïcien – Christian Satgé

                Petite fable affable « Qualis artifex » (Néron)

 

         

         Un gros grillon, troubadour des labours,

Était moqué par le peuple de l’herbe

Qui raillait ses chants, brocardait son verbe

En prenant ses textes tout à rebours.

Ce n’était pas qu’il n’avait pas, ce barde,

De talent… au contraire même, mais

Ses vers joliment troussés, bien rimés, 

Ses métaphores bien filées, pas ringardes,

Et sa voix d’or ne manquant pas d’effet

Étaient objets morgués, sujets à méfaits.

Caricaturé, parodié,… le chantre

Des prés et des champs, lui, jamais méchant,

Poursuivait toujours dans la voie du chant,

Dès que Phœbus, matin, quittait son antre.

Si au contact de tant de cruauté

Notre cœur se bronze ou, hélas, se brise,

Peut importait qu’on le ridiculise

D’avis ayant valeur de vérité :

Son art plaiderait, un beau jour, pour lui,

Demain lui rendrait raison à grand bruit !

 

         Bons esprits mais mauvais fond, les cigales

Jalouses, bafouaient partout, sur tout,

Ce petit grillon, griot touche-à-tout,

Qui voulait se faire un nom jusqu’au Bengale

Alors qu’elles, choristes éprouvées

Voire adulées, faut-il qu’on le confesse,

Avaient du talent jusque dans leurs… tresses.

Lui insistait encor’, voulant prouver

Le faux de leur méchanceté gratuite,

L’erreur de leur vaine et vile conduite.

Et puis, égratigné par trop de vers,

Blessé par des mots, saillies faites pointes,

Peu à peu, l’animal se désappointe

Puis craque avant que ne nous vint l’hiver.

Son mouchoir pleura sur des épigrammes

Faites au kilo et de fiel arrosées.

Risée du peuple de la rosée,

Sa dépression n’émut aucune dame,

Or rien n’est plus troublant que le trou noir 

Qui trouble le trouvère, matin, soir…

 

Il n’avait pas le cœur à la bataille,

Donc mangea son bien puis prit les chemins :

Qui n’a plus de blé finit sur la paille !

 Il soupira donc, sachant fort humains

Les siens, quand la Mort le prit en ses mailles :

« Ah, quel talent je vais avoir demain* ! » 

 
 © Christian Satgé –  mai 2015
 
* De l’inspiré Hector Berlioz (1803-1869) alors qu’il expirait…

 

 

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Christian Satgé

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Obsédé textuel & rimeur solidaire, (af)fabuliste à césure… voire plus tard, je rêve de donner du sens aux sons comme des sons aux sens. « Méchant écriveur de lignes inégales », je stance, en effet et pour toute cause, à tout propos, essayant de trouver un équilibre entre "le beau", "le bon" et "le bien", en attendant la cata'strophe finale. Plus "humeuriste" qu'humoriste, pas vraiment poétiquement correct, j'ai vu le jour dans la « ville rosse » deux ans avant que Cl. Nougaro ne l'(en)chante. Après avoir roulé ma bosse plus que carrosse, je vis caché dans ce muscle frontalier de bien des lieux que l'on nomme Pyrénées où l'on ne trouve pire aîné que montagnard.

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