“Et malgré tout tu n’es pas encore partie, mélancolie inexpliquée. Tu vois je te tutoie, toi aussi, tant tu m’es familière, consubstantielle, même, je pense… Puis tant j’entends ta voix, qui me fait des reproches, au cœur de l’agonie…
Prière à la mélancolie
I
Mélancolie, tu te transportes,
Entre mes seins, dans mes eaux mortes,
Le sel de l’eau emplit mes yeux
Mes jours sont vieux, tu les emportes
Mélancolie, comme un ciel bleu
Après l’orage qui vous lave
Tu es la pureté des cieux
Et la nuit vient comme une enclave
Comme une esclave qui se lasse
Qu’un être libre a pris en traître
Moi je me traîne et je ressasse
Des souvenirs d’amours humaines
Non je n’ai pas fini ma quête
II
J’ai mal pour eux. Mal pour moi-même
Et puis j’ai bien trop dit je t’aime
Aux paresseux de l’amour tendre
Que j’ai le cœur fou à se fendre
III
Tu as troublé mes habitudes
Pris en otage mes étés
Je n’ai que peu de certitudes
Toi, marchant là, à mes côtés
Mélancolie, triste fortune
Que l’on ne peut jamais léguer !
Un rayon vient, doux, sur la lune
Oh j’ai mal d’avoir tant aimé
Aimé sans retour, puis sans haine
Aimé comme on détruit ses chaînes
Le cœur jamais habitué
Et l’âme à jamais incertaine
Et là je rêve du passé
Toi ? Tu m’enchaînes
La nostalgie de l’être aimé
N’est pas la réponse suprême
IV
Questions, questions recommencées
Contre un néant qui vous obsède
Je remplissais de l’être aimé
Le vide fou que l’on ne sème
V
À reculons, mélancolie,
Je vais, je viens, je te contourne
Quelquefois je me porte mieux
Mais tu reviens, tu te retournes
Tel un passant déçu, blessé
Qui me regarde dans les yeux
Fixement, hébété
Ivresse, ivresse, es-tu passée ?
T’ai-je assommée en cours de route ?
Le vin ne vient plus t’entraver
Mélancolie, coûte que coûte,
Ah te voilà bien installée
Entre mes reins, contre ma bouche
Et tu m’embrasses et tu m’embrasses
Quand je me lève ou je me couche
Jamais jamais tu ne te lasses
Nul ne te mettra sur la touche
Car nul ne veut prendre ta place
Tu es la clé de mes impasses
VI
C’est un chant d’amour érotique
Que je t’écris, lors que je passe
Entre ces sentiers douloureux
Un chant d’enlacement tragique
Yeux dans les yeux
Cœur sur ton cœur
Toi, tu te piques
D’avoir enraciné mon âme
Entre tes griffes
Moi, je me risque
Contre ta flamme
Brûlure antique
Antique flamme !
Contre ma joue, entre mes codes
Tu te frottes comme un amant
Contre lequel un rien s’érode
Tu es fidèle, je te le rends
VI
Faisons l’amour
Comme il se doit
Entre tes bras, je trouve un jour
Gris, mais à moi
Un monde sourd
Oui, mais à moi
Univers lourd
Tout comme moi
VII
De la folie ? Je n’en ai pas.
Mélancolie : protège-moi
Compagnon de ma route d’infortune apparemment hors-normes, apparemment « hors-lois », tu ne referas jamais tes bagages, pour aller tourmenter, enfin, peut-être, d’autres âmes…
La mienne est condamnée semblerait-il depuis toujours, et rien vraiment n’y fera. Pas même un magnifique amour. Du moins je ne voudrais plus me faire trop d’illusions !
Tout ce que je peux prédire, en ce jour pourtant sans nuages, c’est que je ressentirai malgré tout, toute ma vie, les foudres de ta fatalité. C’est ainsi. C’est scientifique, c’est du déterminisme. Il faudra que j’y ménage des pauses, voilà tout. Que j’apprenne à mieux te gérer, et, pour cela, à mieux t’appréhender. (…)
Tu es « première », tu es comme qui dirait principielle dans mon existence.
Tu es au fondement de ce que je suis. Tu m’as formée, déformée, et ma personnalité même est fortement intriquée à ta présence, ou à ton retour obligé lorsque parfois tu me quittes. Et cela, même l’amour n’y pourra jamais rien, je me dis (trop ?) souvent. Car il n’est, à mes yeux, pas de plus forte puissance en ce monde que ton empire, sur moi, sur mes gestes, sur mon esprit. Je vis avec toi, ou, plutôt, je cohabite avec toi depuis toujours.
Puisque tu fais partie de moi comme une mère porte son enfant. Et cette «enfance » est difficile, si vous saviez !
Cette part de nous-mêmes à toujours consoler, à tenter tout du moins, de faire un peu grandir, si tel en est la nécessité ou disons le passage obligatoire, feu rouge qui vous dit « stop !», sur le chemin déjà tracé, semblerait-il, dès lors, de toute éternité: la condamnation, maléfique, que sans jugement impartial, sans procès équitable, l’on impose à nos jours, à nos soirées dans l’ombre.
Douleur qui ne se légitime en rien, donc, se nourrissant seulement de sa propre existence… Dans toute une contagion, de plus, incontournable, car nul ne vit ne manière hermétique, ni avec son voisin, ni dans le flou toujours vivace d’un amour comme le nôtre, mon cœur. Toi qui connais déjà ces vagues de souffrance… tendant à se dresser au-devant du silence, des peines acharnées…
Et c’est inextricable, enfin, c’est relié pour toujours.
Jamais je ne pourrais te faire mes adieux, vœu privé du réel, des potentialités qu’un ciel majestueux saurait soudainement comprendre, recevoir, définir comme nouvelle danse, en ce bal de tout devenir, en ce défi à la raison, aux sens ou encore à la science, qu’on peut bien accuser, dans les maux continuels que sèment sa violence !
Donc ni adieu, ni larmes, celles-ci sont stériles. Et je fais par dépit, décidément, ce choix de ne l’attendre plus, la « norme émotionnelle », ce choix de m’engager dans l’exact opposé des routes attribuées, comme on pourrait parfois le croire, dès notre plus jeune âge.
Comme on ne saurait faire un bye-bye à la chance, à l’idée d’être heureux, moi je ne peux leur dire adieu, à ces larmes sans fin, si substantielles, si denses. O désir bien complexe, irritable, épuisé, d’un penchant vers l’été, au beau milieu des neiges, effrayant froid mental !
On nous refuserait, sous le prétexte odieux d’ « erreur à la personne », toute cette promesse, ce serment merveilleux, d’un soleil qui se dresse au-devant de nos jours, que nul ne me tiendra, pourtant, dans ces orages, où tu n’es jamais loin, nœud indéfinissable, mon spleen désemparé, comme sortant des rangs, des conventions, des lois du bonheur et du juste.
Erreurs en tout les cas, me semble-t-il, toujours ! Erreurs de la nature, qui en serait la cause, de cette dépression, l’unique à le mener, ce cours de nos passions, là, survolées là-haut comme en reconnaissance, par une dérision, un non-choix, un non-sens, sur le terrain des villes où tant nous nous terrons, attendant délivrance, secours et guérison.(…)
N’en reste pas moins que toi, mon très vieux « tutoiement », dans le grand monologue intérieur que je fais, de tous mes sentiments, toutes mes émotions, tu manges suffisamment de mon temps, gloutonne inexcusable que tu resteras. Oui je te parle à toi, mélancolie suprême ! Toi, entends-tu ma voix, comme je subis la tienne ?”
C. Pivert
https://www.edilivre.com/l-inconstance-des-sentiments-231c822081.html
” il n’est, à mes yeux, pas de plus forte puissance en ce monde que ton empire ” :
Oui je te parle à toi, mélancolie suprême !
Un texte formidable qui,
à défaut de libérer de l’emprise de la mélancolie,
propose de continuer la vie,
quelles que soient les couleurs fournies…