l’hiver – Daniel Marcellin-Gros

L’ Hiver…

 

L’automne dépossédé de sa belle parure,

Jette ses feuilles d’or dans le creux des chemins,

Il pense que son trésor sera mis en lieu sûr,

Mais l’hiver resquilleur lui volera demain!

 

Le soleil anémié filtre par les ramures,

Nous laissant entrevoir les nids abandonnés

Par les oiseaux cherchant un peu de nourriture,

Qu’ils vont ingurgiter à l’abri des fourrés!

 

Des nuées de corbeaux sillonnent les cieux bistre,

Puis viennent se poser sur les croix et les arbres,

Et leurs croassements sont des couplets sinistres,

Capables d’effrayer ceux qui dorment sous les marbres!

 

Ils sont les précurseurs d’un hiver redoutable,

Tels ceux qu’ils ont connus il y a bien longtemps,

Où les gens n’avaient rien à manger sur les tables,

Où les enfants mouraient sans revoir le printemps!

 

Puis viennent les gelées, crevassant les sols durs,

Et fendant les vieux chênes que l’on entend gémir,

En de longs craquements sous les vents, la froidure,

Qui ont conclu un pacte pour les voir dépérir!

 

Le pâle soleil se cache derrière monts et coteaux ,

La neige maintenant se pose en douceur,

Ses flocons virevoltent et tissent un blanc manteau,

Plus blanc que n’est l’hermine, que piègent les chasseurs!

 

Au matin tout est blanc, la plaine est sereine,

Nulle branche ne bouge, tout semble statufié,

La nature se prélasse dans sa robe de reine,

Des hommes sortent des bouges, ivres et tuméfiés!

 

Un mendiant famélique que la marche épuise,

S’arrête un instant pour souffler dans ses doigts,

Et réchauffer son corps dont les forces s’amenuisent,

Puis repart, plus voûté faire son chemin de croix!

 

Ah que l’hiver est dur pour tous ces malheureux!

Qui ont faim, qui ont froid, et dorment sous les ponts,

Et s’enveloppent dans leurs loques de miséreux

Et rêvent, pour Noël de plumer un chapon!

 

Aux fontaines en fonte, de longues stalactites

Se pendent à la bouche du lion ciselé,

Dont les rugissements pour son eau favorite

Ont fini par se taire à forces de gelées!

 

Dans les chaumières humides toutes blotties vers l’âtre,

Des marâtres aux seins mous font téter leurs poupards:

“Geignards aux joues rosées, ou bien couleur d’albâtre,”

Qui garderont plus tard les cochons près des mares!

 

La féérie des lieux échappe aux pauvres gens,

Dont les soucis urgents sont: chauffer la maison,

Donner du foin aux vaches, allaiter les enfants,

Jeter du grain aux poules aux canes et aux dindons!

 

Les hommes quant à eux, s’occupent des chevaux,

Changent les litières souillées, les jettent au fumier,

Aident les vaches pleines à faire naître les veaux,

De leurs grosses mains lavées sur la pierre de l’évier!

 

Sur les mares gelées, que l’on brise à la hache,

La glace se reforme chaque soir sous la lune,

On en tire quelques seaux pour abreuver les vaches

Car l’eau y est moins chère que celle de la commune!

 

Les enfants sont heureux, mains et joues violacées,

En short jusqu’aux genoux, ils vont faire de la luge,

Et bonhommes de neige par leurs mains ramassée,

Nous semblent tout fin prêts à narguer les déluges!

 

La bise se renforce, le thermomètre baisse,

Les écoles sont fermées car il gèle dans les classes,

Les marmots vont pouvoir cajoler leur paresse,

Se levant à midi les mains dans la tignasse!

 

Le poêle dans la cuisine est rouge comme un poivrot,

Il ronfle autant que lui, mais rend moins de chaleur,

On tisonne la cendre qui tombe sur le carreau,

Une vieille édentée s’écrie: ah quel malheur!

 

Les paysans vont se coucher comme les poules,

Car ils savent que demain il faut se lever tôt

Pour accomplir les tâches à perdre la ciboule:

Quand une vache vêlant a besoin du “véto” !

 

La neige, sur la terre n’a pas que des défauts,

Elle nourrit les labours autant que le fumier,

Car la nature sait mettre son bon sens où il faut

Et bien qu’on la critique, elle reste notre alliée!

 

L’hiver paraît bien long pour les bêtes et les gens!

Le fourrage s’amenuise, les vaches ont faim, elles meuglent,

Et de les voir souffrir devient très affligeant,

Dans l’étable fermée d’où montent de lourds remugles!

 

Et les pauvres en prière, dans l’église où ils toussent,

En appellent au Seigneur mort pour eux sur la croix:

Qu’il fasse que le printemps vienne à la rescousse

Chasser l’hiver maudit vers de lointains endroits!

 

Le curé bedonnant soul comme une barrique,

A beau leur répéter que Dieu est fait d’amour,

Ses ouailles n’y croient plus, têtus comme des bourriques,

 Et bien que certains pensent que ces hommes sont balourds

 

Moi qui les connais bien, j’affirme le contraire,

Il sont plus éclairés que bien des gens de villes,

Ce sont de vrais penseurs, même quand ils vont traire,

Car sous leur front ridé leurs yeux clairs sont subtiles!

 

Noël n’apporte pas de cadeaux à leurs mioches,

Seul un sapin décoré donne un air de fête!

Les souliers éculés, mais propres, semblent moches,

Une orange dans chacun, et l’affaire est faite!

 

Le soir du réveillon on dépiaute les châtaignes ,

Pour faire une purée qu’on arrose de lait,

Dans l’eau, ébouillantée, une oie finit son règne,

Tandis que sur la broche tourne un porcelet!

 

Le repas arrosé bien plus qu’à l’ordinaire,

Fait chanter les anciens et rire les marmots,

C’est dans ces moments là qu’ils oublient la misère

Mais la grand-mère sénile ne trouve plus ses mots!

 

La ferme dont ils s’occupent: héritage paternel,

Provient du droit aînesse d’une fratrie nombreuse,

Or les enfants puînés, se battent, et se querellent,

Pour trois arpents de terre indocile et fangeuse!

 

Tous attendent le printemps comme divin Messie,

Mais il faudra encore patienter quelques mois,

Attendre que le soleil apporte une éclaircie,

Que la neige sur les toits dans les chenaux larmoie!

 

©Daniel Marcellin-Gros

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3 Commentaires
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Invité
21 novembre 2018 9 h 16 min

Bonjour et merci Daniel pour ce long poème sur l’hiver, ce n’est pas ma saison préférée, mais ton écriture m’a fait oublier le froid qui est tombé sur la Picardie. Bises