Il est tôt le matin. La brume du matin s’étale sur le sol. Tu rentres dans ton domaine,
Tu te sens dans ton monde, dans ta bulle,
Personne ne te tracasse.
Ton espace de travail est noble, il n’y a rien de superficiel,
Rien de superlatif ou d’inutile.
Tu en connais les moindres recoins, le moindre outil,
Tu en est fier.
Tu pourrais disserter des heures sur l’utilisation de tel ou tel appareil.
Parfois, tu as contribué à sa conception. Réfléchi. Adapté à ton utilisation.
Certains de ces outils sont uniques.
Après ta rêvasserie matinale, tu te mets à l’œuvre. Tu commences à partir de rien, de la page blanche, comme un.e écrivain.e.
D’abord tu esquisses, essaye, trace, gomme puis retrace. Des minutes de fougue, de créativité que ta raison va habillement recadrer afin de rendre ton projet réaliste. Tu es équilibriste dans ton intellect.
Quand le croquis te plait, tu le contemples un moment. Tu prends ton temps. Tu réfléchis. Tu penses. Tu souffles, respires, commences à visualiser, t’imaginer ta création.
C’est alors que tu te mets à cogiter. A te demander, te poser mille questions.
« Et si je… ? Comment vais-je … ? Puis-je faire comme ceci… ? Comme cela, comme ceci… ? Quel serait la meilleur façon… ? Cela fonctionnera-t-il… ? Bon sang, mais c’est bien sûr… ! »
Tu te poses un moment, l’esprit chauffe un peu trop ! Tu va boire un café, un thé, te réchauffer près du poêle. Mais tu continues de penser ! Comme un réflexe, un mécanisme automatique, en tâche de fond. Il y a quelque chose qui te tracasse, tu fronces tes sourcils, au fond tu ne sais pas tout à fait quoi. Cela t’agace et t’excite en même temps. Décidément ce nouveau projet n’est pas comme les autres…
Tu réalises un premier patron, comme pour chasser ce trop plein de questions. Il te faut passer à l’acte et voir de tes yeux. Certaines réponses commencent à venir progressivement. D’autres questions émergent automatiquement. Mais tu continues. Enfin, un premier modèle émerge. Tu te projettes, tu le projette dans ton esprit. Puis d’autres réponses viennent, irrémédiablement remplacées par d’autres questions.
Cette farandole incessante de questions qui dansent en décalé avec leur réponses te stimulent. Ton esprit est un gigantesque ballet ! Effervescent. La chorégraphie de ton œuvre se met en place, tu en es le chef d’orchestre, mais aussi l’interprète. De temps en temps, cette voluptueuse danse est interrompue par des doutes ignobles. As-tu bien fait ? Cela va-t-il marcher ? Pourtant, tu as tout fait comme il faut, bon sang de bon soir !
Mais ces années passées dans ton atelier, ces centaines et milliers de réalisations ne t’ont jamais mis à terre. Tu as toujours trouvé la solution. Inconsciemment, tu respires profondément et laisse chaque grain d’oxygène alimenter ton cerveau. Cela te calme et t’insuffle un nouveau souffle, avec enfin la solution à ton problème. Une douce satisfaction, accompagné d’un brin de fierté te traverse l’esprit. Humble, tu ne t’enthousiasmes pas car tu sais que tu rencontreras encore bien des embuches avant l’achèvement de ton projet. Tu gardes alors bien en toi cette expérience et la laisse doucement glisser vers les centaines et centaines de ses cousines, qui résident dans ta mémoire et résonnent en chœur dans tout dans ton être. Elles sont à l’affut, prêtes à émerger et à se rendre utiles si jamais un nouveau doute fait irruption. Ces milliers d’heures passées apportent un souffle chaud au plus profond de ton être : la confiance et la sagesse montent et se propagent en toi.
Tu peux commencer maintenant, tu as la quasi-certitude que tout sera parfait, qui tu arriveras à ton objectif sans encombre majeure. Les problèmes ? Des pécadilles ! Des contraintes ? Rien d’insoluble ! Un subtil mélange d’air doux, de feu, d’eau et de terre, traverse maintenant tout ton corps. Tu es dans une sorte d’état hypnotique, tu pourrais tenir une conversation, disserter sur ce que tu fais, calculer, expliquer, démontrer, tout cela en même temps sans même te distraire et t’écarter de ton travail. Tu ne crains ni de te tromper ni de faire d’erreur. Le feu te pousse à exécuter à la perfection, à prendre des risques. Mais tu sais où tu vas, tu es en harmonie : l’air doux et l’eau se combinent à merveille pour tempérer ce feu impétueux qui pourrait te pousser à l’erreur. La terre te rassure, ta connexion avec elle est parfaite, tu ressens pleinement ce que tu exécutes, comme enraciné au centre de la planète. Avec la certitude que ce que tu fais est bien.
Tu es sur le fil des éléments. Rien ne te perturbe. Tu es en parfaite osmose avec l’objet, tes outils, ta création. Il te tarde de la contempler une fois terminée…
Artisan.e, tu es la mémoire de l’Humanité, tu perpétues des techniques ancestrales de grande valeur. Tu utilises des machines à juste proportion. Tu n’ambitionnes pas de mécaniser pour aller plus vite ou augmenter ta rentabilité. Tu te moques de ce que les autres pensent, tu te moques des préjugés sur les travaux manuels. Tu te moques de gagner moins. Car tu es juste dans ce que tu fais, tes yeux brillent de toutes ces valeurs, car cela te rend heureux et tu ne changerais pour rien au monde. Je t’admire !
© Alain Connut
24/01/2024