L’amour des nôtres – Anne Cailloux

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Un vent iodé griffe ma mémoire. Je marche, je crapahute

par les petits sentiers sur les pas de mon père :

-“dit papa, elle est loin la maison ?”

Mon père me grimpe sur ses épaules, nous sommes les Rois du monde.. J’ai cinq ans.

 

Des odeurs inoubliables de bois, brûlent, l’automne est là, il ne fait pas chaud.

Un calvaire trône au milieu d’une route..

et mon frère qui joue le Quasimodo en grimpant dessus, plus près de Dieu.. j’ai 13 ans.

 

La souffrance de ma mère et le désespoir de ne rien pouvoir faire.

Mon rire est ma légèreté pour ne pas l’inquiéter.  Elle n’a plus de force,

mais elle fait la même chose que moi et prend l’humour en première ligne :

– “viens ma belle, je vais te couper les cheveux”,  et je lui murmure :

-“Ha non, la dernière fois, je ressemblais à François 1er.”

Elle m’attendait pour partir. Le dernier baiser de ma maman que je n’ai pas eu..

Elle était ma force, je ne savais pas. J’ai 23 ans.

 

Dimanche matin chez mon père, il fait 14 degrés, je garde le manteau pour manger.

Il me dit que j’ai du sang de navet..

Il parle, il parle, il me narre les mêmes histoires depuis 20 ans et moi,

je lui pose les mêmes questions…

Je décide de le taquiner : – “dis-moi tu es toujours musclé pour 70 ans tu assures grave !”

Et le voilà qui prend son pied dans sa main et touche son front avec :

-“Que crois-tu ? Je saute même la table à pieds joints..”,  Je ris doucement… J’ai 28 ans.

 

Mon père a attrapé une maladie nosocomiale lors d’une intervention banale.

Il souffre, il résiste, en bon militaire, il ne rendra pas les armes. Il est dans le coma, j’ai mal.

Je suis soignante et je sais que de temps en temps, il se passe des événements hors Temps….

je lui parle et je lui donne la permission de partir.

Certaines personnes ont besoin de cela pour nous quitter.

Je rentre chez moi, une heure plus tard un numéro inconnu m’appelle, je décroche et je dis :

-” Oui, je sais docteur, mon père vient de nous quitter.”

Le médecin est sans voix, il ne comprend pas.

 

Il n’y a rien à comprendre. J’ai 32 ans.

Quel est ce manque incessant qui nous pousse dans notre passé,

dans ce miroir du Temps où on aime s’arrêter.  

Un rien nous fait basculer, une odeur de foin, de bois brûlé, de lavande.

Un bruit : une moissonneuse, un tracteur.

Une image : un bateau, une cheminée, un épi de blé, une musique,

une phrase de vieux qui ne veut rien dire pour nous et qui nous fait rire.

Le cœur se serre, vous aussi vous ressentez cela au plus profond de vous.    

Un manque, un pas assez, un j’en voudrais bien encore un peu, un s’il vous plaît Seigneur.

Le Temps se moque de nous, il secoue les pavots de nos souvenirs,

et nous endort dans un bien-être trompeur.

Devant nos yeux une danse nous offre des réminiscences d’affections,

car nous sommes issus de leurs cellules,  

ils sont en Nous à tout moment et surtout à tout jamais.

 

© Anne Cailloux – “L’Amour des Nôtres” 16/11/2017

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Anne Cailloux

Anne Cailloux (347)

Depuis ma naissance, je fus autodidacte et trop rêveuse.Spécialiste dans l'art thérapie et les maladies neurodégénératives, j’essaie de retenir le temps des autres et du mien.. Quelques diplômes, une passion pour l'art et les poètes. J'ose dormir avec Baudelaire.Je suis une obsédée textuelle . Je peins, je crée et maintenant j’écris. Je remets cent fois mon ouvrage pour me corriger. De quinze fautes par lignes je suis passée à quinze lignes pour une faute... Deux livres en préparation et peut-être un recueil de poèmes, si Dieu veut.Anne
Je suis une junky des mots..

6 réflexions au sujet de “L’amour des nôtres – Anne Cailloux”

  1. Les sons, les couleurs, les odeurs…autant de repéres pour nous les enfants de nos péres et méres….en sachant l’importance que cela représente pour nous, qu’allons nous faire vivre à nos enfants pour que dans….ils se souvienent.
    Vous venez de rallumer chez moi le son, la couleur et les odeurs de la route.

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