Pâle, ressemblant à une statue d’albâtre,
Assise près d’un feu qui règle la cadence,
une aïeule regarde son ombre se débattre
Parmi le mobilier dans la pièce qui danse.
Elle est silencieuse, en respirant à peine,
Portant l’étoffe noire lui venant de sa mère.
Ce feu comme sa vie lui suggèrent ses peines :
Pour un peu de chaleur, que de fumées amères.
Ses premiers souvenirs sont couverts de nature,
De champs de blé dorés, chevelures des terres,
Qui devenaient le lieu de folles aventures
Se finissant souvent dans un parfum d’éther.
C’est encore récent quand elle dansait naguère
Au bras de ce galant à la fine moustache
Qui devait la marier au retour de la guerre
Et ainsi partager son amour et sa tâche.
Et puis, dans une balle se glissa le destin,
Un soir de décembre, en forêt de Douaumont,
Et l’homme et les espoirs moururent au matin
Ne laissant, derrière eux, que de sombres démons.
D’autres temps ont passé, fermant la cicatrice.
La voilà, maintenant, en mère épanouie,
Entraînant la famille par sa force motrice
Issue des contrecoups de rêves évanouis.
Alors vint l’autre guerre et un fils défunt,
Son mari d’adoption devenant alcoolique
Mais sa fille sortant du fond de ses confins,
Un fils ressemblant aux chérubins bibliques.
Quand son mari fut mort et la ferme trop vaste,
Sa force, désormais, ne put plus subvenir
Au sarclage épuisant des herbes qui dévastent.
La vente de ses biens assura l’avenir.
Et la voilà bien seule dans ce vieux bâtiment,
Guidée par un orgueil refusant l’assistance,
Elle revit ses bonheurs et ses ressentiments
Qui effacent, soudain, les âges et la distance.
Et marche à petits pas et en courbant le dos,
Ne levant son regard que par intermittence
Et porte sa vieillesse comme un lourd fardeau
jusqu’à ce que la mort prenne son existence.
© Philippe Dutailly – 23/12/1990