La vieille paysanne 1 – Philippe Dutailly

Pâle, ressemblant à une statue d’albâtre,

Assise près d’un feu qui règle la cadence,

une aïeule regarde son ombre se débattre

Parmi le mobilier dans la pièce qui danse.

 

Elle est silencieuse, en respirant à peine,

Portant l’étoffe noire lui venant de sa mère.

Ce feu comme sa vie lui suggèrent ses peines :

Pour un peu de chaleur, que de fumées amères.

 

Ses premiers souvenirs sont couverts de nature,

De champs de blé dorés, chevelures des terres,

Qui devenaient le lieu de folles aventures

Se finissant souvent dans un parfum d’éther.

 

C’est encore récent quand elle dansait naguère

Au bras de ce galant à la fine moustache

Qui devait la marier au retour de la guerre

Et ainsi partager son amour et sa tâche.

 

Et puis, dans une balle se glissa le destin,

Un soir de décembre, en forêt de Douaumont,

Et l’homme et les espoirs moururent au matin

Ne laissant, derrière eux, que de sombres démons.

 

D’autres temps ont passé, fermant la cicatrice.

La voilà, maintenant, en mère épanouie,

Entraînant la famille par sa force motrice

Issue des contrecoups de rêves évanouis.

 

Alors vint l’autre guerre et un fils défunt,

Son mari d’adoption devenant alcoolique

Mais sa fille sortant du fond de ses confins,

Un fils ressemblant aux chérubins bibliques.

 

Quand son mari fut mort et la ferme trop vaste,

Sa force, désormais, ne put plus subvenir

Au sarclage épuisant des herbes qui dévastent.

La vente de ses biens assura l’avenir.

 

Et la voilà bien seule dans ce vieux bâtiment,

Guidée par un orgueil refusant l’assistance,

Elle revit ses bonheurs et ses ressentiments

Qui effacent, soudain, les âges et la distance.

 

Et marche à petits pas et en courbant le dos,

Ne levant son regard que par intermittence

Et porte sa vieillesse comme un lourd fardeau

jusqu’à ce que la mort prenne son existence.

 

© Philippe Dutailly – 23/12/1990

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Philippe DUTAILLY

Philippe DUTAILLY (89)

Tombé amoureux de "L'albatros" de Charles Baudelaire, poème appris lorsque j'étais 'écolier et nourri au hasard de Victor Hugo, Georges Brassens, Léo Ferré, Lamartine et beaucoup d'autres, j'ai commencé à faire rimer les mots vers l'âge de 18 ans. D'abord très inspiré par Brassens, j'ai pris, au fil du temps, mon autonomie pour en venir à des textes plus intimes qui, pour certains, servirent d'exutoire à des émotions mal vécues.

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