Fin d’une journée de pluie
J’entends la ville
Qui remue et bouge autour de moi et mes pensées m’échappent au fil de l’eau, de l’eau qui court
dans les gouttières et les caniveaux
Charriant la crasse, les papiers gras
Les restes de kebab et les merdes de chiens
Soleil de fin de journée quand les nuages se dissipent illumination tardive dans le goudron des trottoirs les flaques comme des écailles de poisson j’aimerais
y faire pousser un jardin
J’ai connu un type comme ça…
Il était persuadé qu’un jours
Le monde se mettrait à l’envers
Et que perché sur les racines
Il pourrait pisser vers le ciel
Il trainait dans toute la ville son corps chiffoné répétant la même litanie toujours en rade d’une clope ou d’une flamme de briquet.
Il vivait dans le désordre et la saleté médicamenté jusqu’à l’os café eau plate et jamais une goutte d’alcool.
J’ai rarement vu des yeux plus embrumés.
Songez un peu à la paire de semelles qui devait porter pareil corps pareil masse d’ombres et de muscles sans jamais gémir ni se plaindre.
Dans cette ville il faisait partie du paysage et il avait pris du quartier la couleur gris sale.
Je crois pouvoir affirmer que le nuage des longs dimanche d’ennui le suivait jusqu’à l’intérieur de son appartement et prenait racine dans la crasse de la cuisinière et dans les cendriers plein à ras-bord trempés de café froid.
Et l’autre qui tournait sans fin sur son vélo en criant après des fantômes puis
passait la fin d’après-midi au vidéo club rêvant devant les étalages de films pornos
Qu’est-ce qu’ils deviennent à la fin ?
*
La Fuyarde
Elle montait à l’arbre en s’accrochant
A l’écorce avec les dents
Ses vêtements loques déchirées
Collés de boue et de sueurs
Seconde couche à sa peau mat ils
Partaient en lambeaux petit à petit
Jour après jour à manger
Les animaux avant qu’ils ne refroidissent
Ses yeux brillaient à nouveau
Et ses lèvres rougissaient
Elle avait commencé à l’hôpital les dents plantées dans le biceps d’un brancardier
Les muscles durs et chauds
Cédant entre les incisives
Et le corps s’effondre dans un cri
De douleur et de rage impuissante.
Hop par la fenêtre et elle avait couru couru couru
De toute la force de ses pieds nus
(et de la force elle n’en manquait pas)
Sur la route de goudron elle en est sûre
Ils ont essayé de lui rouler dessus
Ils l’ont visé en bagnole
Ils ont du penser son corps fragile
Et qu’ elle allait fuir affolée
Mais elle a sauté sur le capot
En hurlant un langage incompréhensible
La peur de leur vie et elle ne les a même pas touchés
Enfin si
Un seul
Il avait cru l’attraper et aujourd’hui
Il a mal aux yeux qu’il n’a plus
Ebloui pour l’éternité
Du haut d’un arbre elle observe
L’horizon et attend
Le retour des oiseaux.
*
La rivière
Je suis allé m’assoir
Au bord de la rivière
Espérant y voir
Passer son visage
J’étais parti en laissant mon café
Refroidir sur l’évier de la cuisine
J’entendais sa voix dans les nouvelles à la radio
Le vent avait son regard
Et le sentier avait ses mains
Autour de mon corps
L’absence de ses bras
Le vide sur ma bouche
Larmes qui sans cesse montent et coulent
Jusq’à l’abri de la chambre aux volets clos
Tentative d’abri dans la saison si lourde
Sans elle
*
Renaître
Je vois renaître Vénus
Chaque fois que mon regard
Se pose sur ses cheveux
Et regarde sous le charme
Ses tresses qui lourdement
Se détachent et retombent
Sa peau est de miel et
Ses yeux graines de cacao
Son sourie éclat lacté
La vie s’enroule à ses doigts
Puis ruisselle de ses paumes
J’ai vu son corps léger
Déplacer l’air en bourrasques
*
Personne ne lui a dit
Un verre de mauvais
Alcool de poire et de riz
Une cigarette sans filtre dont la simple vision
Donnait mal à la gorge
Elle disait pouvoir lire
L’avenir dans les rêves
Personne n’a jugé utile
De lui dire qu’on ne pouvait pas
Lire l’avenir dans les rêves
*
Traineur d’après-midi
Traineurs d’après-midi sans fin
Dans les rues dominicales
Ceux qui à cette heure ci se lèvent
N’ont toujours pas compris
Que la drogue était encore plus bête
Qu’eux
*
Little Walter
Je l’imagine comme
Un petit oiseau noir et blanc
Qui sauterait d’une patte sur l’autre
Zigzagant comme ça
Entre les barbelés d’une clôture
Et son harmonica réveille
Les cerveaux et les sabots des vaches
Et sous un arbre Muddy Waters au large sourire
L’accompagne de sa guitare de ses pognes puissantes et douces.
*
Sainte Bonne-Aventure
Tenant ma main à plat
Dans la sienne moitié moins grande
Tenant ma main dans la sienne
Comme elle aurait tenu une carte à jouer
Suivant les lignes de ses doigts minuscules
Elle dit
“Ca sent mauvais pour toi par ici
Alors remonte dans le train
Et laisse passer deux gares
Trouve à t’occuper
Mais surtout ne descends pas
Avant la troisième”
Puis elle repartit laissant accroché
Ama veste quelques mèches
De ses longs cheveux noirs
Et mes narines
Mes narines certains soir saignent encore
Du souvenir de son parfum
*
La Pluie
La pluie est venue
S’installer en s’appuyant
Sur sa canne de bois neuf
*
Tombeau de feuilles vertes
(John Pine)
J’aimerais vous parler d’un type avec une voix qui sonne comme la vérité
D’un type avec une voix qui sonne
Comme une main sur l’épaule.
Ce type est mort l’autre jour
Ce type est mort et sa voix
N’a pas l’air de le savoir
Ce type est mort l’autre jour
Ce type est mort et sa voix
N’a pas l’air de le savoir
*
Charles Péguy
Charles Péguy chassant la poussière
De dessus ses yeux fatigués
Soulève les stores de ses paupières et tourne la tête
Vers les cieux inespérés
Du fond de sa tombe il compte
Les moutons, les obus et les bombes
Il soupire Charles
Il a du mal à dormir Charles
Et plus d’un siècle de sommeil se monnaye bien
D’une ou deux insomnies
Le voilà qui repousse les draps de son lit
Et gratte à plein doigts
Sa barbe neigeuse
Sa barbe toute remplie
De poèmes jamais écrits
Et il essaie, il essaie
De les écrire aujourd’hui
Avec ses mains pleines d’écorce
Et de la suie en guise d’encre.
*
Gamins, gamines…
Je les ai vu
Gamins, gamines
Même pas encore
Touché des lèvres leur vingt printemps
Au fond des corps d’enfants
Je les ai vu
Gamins, gamines
Tirant sur un pétard
Comme pour prier l’ennui
De partir en fumée
Je les ai vu
Gamins, gamines
Et j’en ai même connus
Tombés accros avant
De rentrer au collège
Je les ai vu
Gamins, gamines
Rêver d’ailleurs
Et puis revenir poumons noircis
Yeux rongés et l’âme
Couverte de bleus
*
Un train de retard
Ils sont tous partis
Mes amis
Ils sont tous partis
Et moi je suis
Resté ici
Je traine encore sur ces pavés
En essayant d’effacer des mes oreilles
Le bruit fantôme des verres
Des rires quand nous trinquions
L’éclat des sourires encore
Planté au fond de la rétine
Ils sont tous partis
Mes amis
Ils sont tous partis
Et moi je suis
Resté ici
Elles est partie aussi celle-là
Sur la main de laquelle
Je n’ai jamais osé poser la mienne
A qui aujourd’hui donne-t’elle
Ses baisers, son cou et qui passe
La main dans ses cheveux ?
Ils sont tous partis
Mes amis
Ils sont tous partis
Et moi je suis
Resté ici
*
Au bord
Des fois l’impression
D’être tombé
A côté de la vie
Assis sur des cailloux
Tantôt brulant, tantôt glacés
Ou détrempés par la pluie
On regarde passer les trains
Et on écoute pousser les ronces
Pas d’oiseaux dans le coin d’ailleurs leur chant nous irriterait
On attend la nuit avec l’espoir
Que ce soir on arrivera
A compter les étoiles
*
La Bonne Etoile
C’est là qu’elle brille
Au dessus des toits
Et elle fait la nique aux gratte-ciels
Lumière de miel première du soir
Et dernière du matin
Ordonnatrice des pluies d’été
Point fixe dans la danse du hasard
Le coup de dés à l’élégante boiterie
La bonne étoile