Le Fado – Henry de Chanterac

Le Fado

Les monstres du cap Bojador n’ont pas fait surface comme lors du voyage de Vadino et Vivaldi. A défaut de les voir sortir des flots, mieux vaut croire que tout ceci n’est qu’une fable. Mais celui qu’affronte en ce moment-même les hommes engagés par Dom Henrique pour ses expéditions est aussi turbulent. « Un faux calme », assure Joa, « c’est la meilleure description qu’on puisse faire de lui. » Les côtes désertiques et ses épaves d’almadies sont restées loin derrière, et les rares occasions de s’en approcher ont rendu l’équipage insatisfait de n’avoir vu jusqu’ici aucune silhouette humaine ou animale.

A défaut de rencontrer le Cap Blanc et ses hautes falaises, il y avait encore là-bas le vent et le courant pour porter la caravelle et les extravagants filets de pêches de ses habitants. Même en vent contraire, celle-ci, contrairement aux barcas, a progressé à allure constante et les plages de sables de se sont succédées les unes après les autres. Comme Goncalves, Tristan et Earles avant eux, l’équipage a franchi le cap de Bojador après avoir fait escale à Ceuta et à Madère. Les hommes ont été logés dans les anciennes maisons maures et il n’a pas été rapporté le moindre incident aux officiers. Le chevalier Dom Alvaro a été reçu chez le gouverneur et se serait épanché avec lui toute la nuit sur les cartes de Gonçalvès. Mais l’équipage, en fin connaisseur du caractère du chevalier, oscillant entre le plus grand ascétisme et la plus grande cordialité, ne lui demandera rien. Ils savent qu’ils seront honorés par l’Infant même s’ils reviennent les mains vides.

Pour Dom Henrique, chaque expédition est une information supplémentaire sur l’assiette des côtes, les secteurs des récifs, la faune marine et les habitudes des Maures. Le matelot sait qu’il obtiendra pour cela une récompense à la hauteur de ses efforts. Un rapport de marin indique qu’au moins dix Maures noirs ont été déjà rapportés des Basses d’Arguin par Tristao. Ils ont été échangés sur l’île de Tiger par l’Alfaqueque contre des Maures blancs et Jorge, le pilote, se souvient de la conversation qu’il avait eue avec un matelot à Lisbonne. Il disait que l’un d’entre eux était d’un rang assez élevé. Il parlait peu et on pouvait le distinguer à sa haute silhouette. Il servirait désormais un ingénieur de Dom Henrique à la base de Sagres.

« Les Noirs, bien que Maures, étaient détenus par les autres » explique Jorge. « Et c’est à cause de la malédiction lancé par Noé au Déluge à son fils Châm dont ils sont les descendants. » Le Cabo do Bojador a été franchi selon les consignes en passant deux jours en pleine mer juste au sud de la Grande Canarie. La raison de ce détournement est qu’à seulement douze lieux des côtes la sonde ne mesure encore que cinq coudées. Et que c’est un fond suffisamment relevé pour venir se drosser contre un corail. Il a donc fallu prendre de l’allure et partir sans carte vers la mer Océane.

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