Placidement la Dame a gravi les 600 marches qui conduisent à son pavillon, perché au sommet de la crête. Elle y baisse tous les rideaux, elle allume seulement une petite bougie pour penser à son fiancé dans la pénombre.
Là-bas au-delà de la grande muraille, on l’a envoyé combattre les féroces Hiong-Nou. Il doit se couvrir le corps d’une cotte de mailles et brandir fièrement une longue épée en acier pur. Le preux ne craint plus les féroces guerriers nomades et il ressemble lui-même de plus en plus à ces sauvages de la steppe, assis le jour sur son petit cheval musclé bouillant d’énergie et couché la nuit dans la yourte enfumée. Il a pris leurs habitudes. Dans les moments de répit comme au plus fort du combat, il rêve de sa promise au regard scintillant comme des étoiles. Il revoit avec mélancolie les maisons spacieuses et coquettes de son village, entourées de grands champs de céréales, de rizières et de vergers sur la terre fertile du pays de Wei.
Au bout de quelques heures de tristes méditations, la Dame entrouvre la porte et sort devant l’entrée pour un peu prendre l’air. Elle sent soudain tout chavirer autour d’elle. Elle lève alors les yeux vers les rapides nuages qui passent et, sur eux, dans la direction des lointaines contrées où campe son amant, elle envoie ses doux baisers en les soufflant sur sa main droite. Puis elle s’écroule subitement et s’évanouit.
Dans le même temps, son amoureux observe stupéfait le ciel bizarrement rouge et le soleil devenu étrangement tout noir mais brillant toujours d’un vif éclat avec la même couleur que les yeux sombres de sa maîtresse. La reverra-t-il jamais ? En chevauchant, ô surprise et horreur ! il arrive maintenant devant des dizaines de milliers de cadavres ennemis étendus sur le sol et dont le sang, à perte de vue, rougit l’herbe de cette plaine immense. Des nuées de corbeaux survolent les cadavres et certains se posent déjà pour déchirer les chairs. Que s’est-il passé ? Comment est-ce arrivé ??
(Le 10/6/2017)