Sonné – Jean-Luc Bonnet

Homme et Nature

Les blessures du temps fracturent les enfants

La beauté du matin emportée dans l’Histoire

Se cache dans les plis et ne se laisse voir

Le regret des hiers parle tout en frappant

Dans le sud rieur, les cigales chanteuses

En griottes sifflantes soufflent quelques notes

Voyant passer les hommes et une triste flotte

Le soleil tape fort les traite de voleuses

D’un côté la folie des peuples fracassés

Du couteau au canon, les armes parlent trop

Au milieu des diamants essayent les allures

D’un autre la nature, les siffleurs désarmés

De fourmis en cheval qui vont au petit trot

Dans les vertes forêts, où tout pousse au futur

 

Verdure

Il y a dans la verdure, des mystères affolants

Des agiles insectes, aux paroles glissées

Dans le creux d’une oreille, complaisante l’excès

Où les grillons stridulent, tous leurs éternels chants

Dans l’euphorie en herbe, un trou profond sans fond

Même les mots s’y perdent, dans le chemin pentu

La forme symétrique, où le bord est fendu

En rien il ne ressemble, à un tout petit rond

L’animal rampant dans le feuillage vert

Cherche à passer la nuit dans un repos tranquille

Il a le sang plus chaud que sa physionomie

Traverse une pensée, il faut l’esprit pervers

Pour y voir un Don Juan, ce grand chasseur de filles

Il vient là simplement, ce n’est qu’un grand ami

 

Paroles

Paroles libérées qui résonnent aux oreilles

Derrière chaque mot s’ouvre un monde nouveau

Et dans les doubles sens jaillis des caniveaux

La lune reflétée à nulle autre pareille

Les paroles sont libres, si on sait écouter

Les voix qui nous racontent, le sang des autres mondes

Il n’y a rien de pire, que le silence immonde

Portons haut les flambeaux jusqu’à la Voie lactée

Je raconte ceux-là qui n’ont droit à la langue

Tu verras naître un jour sans le moindre drapeau

Elle est le portrait même, de notre liberté

Nous irons au-delà des frontières en gangues

Vous serez libérés de porter le chapeau

Ils danseront en rond la voix de vérité

 

Les bambins

Quand les enfants babillent, disent les premiers mots

Les mamans et papas s’étonnent dans la joie

Les yeux écarquillés ne connaissent les lois

Et dans leur insouciance, mangent les petits pots

Ils trottinent escaladent, ils explorent leur monde

En éponges, ils absorbent, les mots et les paroles

À quatre pattes ils vont, sur deux pieds caracolent

Et sur le moindre objet, les mains tendues ils fondent

Et dans la bouche ils mettent, tout ce qui peut traîner

Cachons les bibelots trop faciles aux bambins

il faut choisir ses guerres, le repli stratégique

Mes chats sont ces bébés, aux pattes bien armées

Ces petites bestioles, sont de malins félins

Avec eux, pas d’espoir, oublions le tragique

 

Le poème

Le poème est un mot oiseau

Il fait des nœuds de longues plumes

Et de son bec dans l’air il hume

Car jamais coiffé au poteau

Le poème est un mot coquin

Parfois il raconte des fables

Surtout ne le crois pas aimable

Et avec toi il est vilain

Le poème est un mot de trop

Il est peut-être malhabile

Il ne veut pas que tu le chopes

Le poème est un mot de mots

Avec lui ne fais pas de bile

Car pour toujours il est au top

 

Je suis

Mon cœur m’a dit d’un battement

Quel est ton nom ? Celui du vent ?

Non, de la terre je suis sorti

Et sans fin la mer m’a poli

Mes reins m’ont dit d’un seul élan

Quelle est ta vie ? Celle du temps ?

Non, je suis l’angle de l’espace

Et de amants suis le rapace

Quelle est ta couleur ? Est-ce bleu ?

Non, je suis rouge de tant de sang

Qui s’écoule dans mes artères

Quel est ton futur ? C’est le feu ?

Non, je suis l’eau pour les chalands

Qui portent les espoirs amers

 

La famille

Au cou une pierre sérieuse

Un bijou de beauté précieuse

Un vermillon de vie heureuse

La femme chante une berceuse

Au pied une fine godasse

Une casquette de bidasse

Quelques effluves de vinasse

L’homme est habillé pour la chasse

La petite a de longues tresses

Elle est bien prête pour la messe

Déjà en retard on la presse

Le petit a son grand cartable

Il a un charme véritable

Toute la famille joue la fable

 

Les amis

Tant de temps entre amis, les précieux sans pareil

Dans les champs ou les villes, nous partons en balade

Coup de gueule et de cœur, notre esprit en éveil

Alors des gens heureux nous chantons la ballade

L’un nous parle d’ailleurs quand un autre est taiseux

Une bande affolante, ou des rameaux solaires

Et de toutes les formes ne sait qui dit mieux

C’était eux c’était moi comme dans une volière

En quelques coups de vins et aussi coups de gueule

On scelle les instants comme de grands enfants

Ensemble on a pleuré mais surtout beaucoup rit

Et sans filtre ils ont droit, ils me disent ce qu’ils veulent

Viennent les souvenirs, viennent les soirs d’antan

De tout ce qu’on partage, les moments de nos vies

 

L’amie de cœur

Tu es l’amie de cœur je te ferai mon miel

Un espace c’est ouvert dans le champ des possibles

Juste dans un regard je vois dans l’invisible

Tu es l’amie des peines, je te ferai mon ciel

Et même dans l’absence, je te sens près de moi

La compagne du temps traverse les printemps

Je t’ai ouvert ma vie tu l’accueilles en chantant

Tu connais mes faiblesses, tu connais mes émois

Je te dis les écueils et les jours du perdant

Je t’envoie des messages, avec de petits cœurs

Je n’attends que le baume, qui calme les blessures

Tu me dis la fêlure, qui a bâti l’enfant

Tu m’envoies quelques rires, et aussi quelques pleurs

Tu n’attends qu’un bon mot au-delà des armures

 

L’homme et l’arbre

Si un lendemain pour la terre

Qui dans nos choix serait possible

Il ne reste plus de fusibles

Même si nos cœurs sont de pierre

Il faut toujours crier au loup

Quand les forêts partent en flammes

Mais avons-nous assez de larmes ?

Dans les yeux secs des pauvres fous

L’arbre nous crie de l’oublier

Quand la fournaise le consume

Et la fleur en perd ses pétales

L’éclot n’a rien de familier

Aux visages pleins de posthume

Car la rupture est trop fatale

 

L’ami perdu

Oh mon ami je t’ai blessé

Ce n’était pas mon intention

Bien sûr je connais la tension

Bien sûr je sais le temps passé

Oh mon ami je te regrette

Toujours tu jongles à l’impossible

Bien sûr je vois l’amour possible

Bien sûr je sens l’oubli des quêtes

Vois ma tristesse dans la moitié

Vas-tu rester dans une brume ?

Je veux y mettre de l’espoir

Vois les forces de l’amitié

Vas-tu rayer d’un trait de plume ?

Car bien sûr c’est à toi de voir

 

La lettre promise

Ce matin j’ai un air blizzard

Comme un coup de vent en dedans

Dans le moindre interstice je sens

Des courants d’air bien trop bizarres

Et si une lettre est promise

C’est sûr, je ne la lirai pas

Même si j’ai fait un faux pas

J’accepte de perdre la mise

Non, je ne veux pas me rogner

Je suis et reste qui je suis

Je préfère mon être à l’avoir

Contre un mur, je me suis cogné

Le passé est tombé dans un puits

Et plombe un voile sur la mémoire

 

En dolorisme

S’il est perdu en dolorisme

Alors que puis-je faire pour lui ?

La perte de dialogue m’ennuie

Je crois que c’est un fatalisme

Car quand le dialogue est perdu

Je ne sais quoi faire des morceaux

Je ne veux pas de ces mots faux

Ce n’est que l’amitié pendue

Quand un plus un ne font plus deux

Quand les sourires sont de façade

Et quand le jeu ignore le je

Il n’y aurait que des mots creux

Il n’y aurait que des mots fades

Il n’y aurait que le mot cage

 

En douleur

L’homme perdu dans sa douleur

N’a plus d’oreille à la raison

Et il divague en oraison

Du monde entier il est le cœur

Il ne connait que l’absolue

De son malheur dans tous les centres

Souvent trop de pleurs dans le ventre

Dans les courbettes il s’est complu

Je ne jetterai pas la pierre

Ni à l’ami ni aux apôtres

Un jour peut-être il ira mieux

Quand il n’attend que des prières

Mais l’homme à terre n’entend les autres

Dans sa douleur ouvrir les yeux

 

En grand

C’est dans une vie de plain-pied

Dans un horizon impossible

Là où passe le temps fissible

Il nous faut sortir du bourbier

La vie en grand, la vie toujours

Où se vautrer comme dans la soie

Où l’ombre ne fait pas la loi

Même si toujours n’est pas amour

C’est dans un battement de cils

Du cœur, renaît le battement

Qui lâchera tout à revoir

Même si demain, nous les fossiles

En avançant plus lentement

Encore, encore revient l’espoir

 

Bach

A-t-il une âme, celui qui ne connaît pas Bach ?

Des contrepoints subtils, surgit des airs ailés

Et il faut être un ours pour n’y voir que figé

Quand la musique danse, et nous donne des claques

Le cantor de Leipzig nous envoie dans l’azur

Des cantates aux sonates, concertos Brandebourgeois

Et variations Goldberg, le maître met en joie

D’hier et d’aujourd’hui, il est aussi futur

Que je plains l’ignorant qui ne sait le sublime

Malgré tous les discours, il a un trou en lui

Alors juste un conseil de venir y gouter

Les belles constructions nous jettent dans l’abîme

Comme un ciel étoilé qui en plein jour nous suit

Il inventait les notes, à nous de l’écouter

 

Ici et maintenant

S’il y avait un maintenant

En vivant dans l’instant infime

Nous resterions dans un intime

Nous irions alors lentement

S’il y avait aussi ici

En vivant dans un bel espace

Nous ne serions plus des rapaces

Mais jamais rien de rétréci

Si le passé est un terreau

Comme escargot en sa maison

De trop d’espoirs nous sommes ivres

Si le futur comme un fourreau

Alors gardons notre raison

Ici et maintenant à vivre

 

Page blanche

Sur une feuille blanche, la promesse rêvée

Et même l’impossible, peut devenir possible

Et la main qui attend pour atteindre sa cible

Avec un stylo plume, à la pointe trempée

Souvent le premier mot et la première phrase

Se cachent dans l’esprit dans l’étrange neurone

Jusqu’à la délivrance, la fulgurance tonne

Et les lettres se forment, cela sans périphrase

À la fin de la page, d’un jet ou raturée

Là l’auteur doit choisir, poubelle ou bien bannière

Et avant le mot fin, toujours le corps à corps

Page à page le roman, pyramide montée

La construction fragile, peut tomber dans l’ornière

Cent fois sur le métier recommencer encore

 

Et si

Et si un oiseau élancé

Et si un printemps enfantin

Et si un surprenant pantin

Et si un volcan balancé

Alors dans un battement d’aile

Alors des chants lents dans les vents

Alors dans la fin des relents

Alors des braises sur la margelle

Et si l’enfant est écouté

Et si la parole visible

Et si tu oublies les croyants

Alors un adulte éveillé

Alors une vérité dicible

Alors tu seras le gagnant

 

Quand je serai grand

Quand je serai grand

Et que j’aurai compris la vie

Les langues seront connues

Au-delà du possible

Quand je serai vent

Et que les choses sans prix

Ne seront des convenues

Le fracas des visibles

Quand je serai chant

Les voyelles sonores

Et les consonnes sonnantes

Un homme aux vieilles dents

Incapable dans son corps

Enfin trouvées les consolantes

 

Dans bien longtemps

Dans bien longtemps, un ciel plus bleu

Portera des langueurs étales

Et sur ton visage moins pale

Dans bien longtemps, un ciel heureux

De couche en couche dans bien longtemps

Pousse la branche sur le tronc

Elle s’élèv’ comme un faucon

Vive la vie dans bien longtemps

Pourtant longtemps est aujourd’hui

Dans un soleil émerveillé

Naviguant par monts et par vaux

Et toujours longtemps sort du puits

Où il était comme enfermé

Dans bien longtemps l’homme nouveau

 

L’instant

Dans un instant un temps volé

Une parenthèse ouverte au vent

Où les crapauds sont innocents

Des ouvertures bariolées

Dans l’univers aux trous de verre

Passant de fragment en fragment

Les vers en mesure du chant

Pour un voyageur solitaire

Le tic-tac est toujours affable

Pour le présent souvent sans âge

Quand les couleurs sont pardonnées

Dans le ronron comme une fable

Le passant retourne les pages

Dans un instant un temps donné

 

Le calendrier

Dans le petit jour de janvier

Promesse glacée, février

Pour mars le guerrier du printemps

Continue en avril, perlant

Et puis viennent les ponts de mai

Quand au mois de juin nait l’été

Alors juillet dans le soleil

Et en août les orages veillent

Toujours les rentrées de septembre

En octobre déjà l’automne

Dans l’heure d’hiver qui nous endort

Les douches glacées de novembre

Fin décembre les cadeaux sonnent

Et la roue tourne et tourne encore

 

La lune

Dans le premier quartier

De la lune je suis plongé

Le ciel de brume, la lune blanche

Le ciel clair, la lune franche

Dans une lune montante

Elle gravit la douce pente

Jusqu’à la forme ronde

Là où les poules pondent

Doucement on passe au d

Comme barre descendante

Le jeu d’enfants surpris

Elle disparaît même en été

Et la nuit noire n’est pas violente

Pour repartir à l’infini

 

Si j’étais

Si j’étais l’eau mais pas limpide

Un peu trouble mais pas boueuse

J’essaierais une vie heureuse

Dans les détails même insipides

Si j’étais feu mais pas l’enfer

Jaune bleu et rouge tout ensemble

Je cuirais le pain qui ne flambe

Dans la fournaise tordrais le fer

Si j’étais l’air mais pas les anges

Dans quelques vents du nord au sud

J’irais dans les cheveux des dames

Si j’étais terre mais pas étrange

En soulevant les jupes prudes

Je porterais vos pieds sans drames

 

Cosmogonie

À l’origine était un point

Un point de tout dans rien

Rien est devenu tout

Tout confus d’exister

Puis vient le rayon

Rayonnant dans un grand vide

Vide de sens, même en tous sens

Sans logique un univers

Alors quelques secrets

Secrets de la recette

Cette galaxie s’est enroulée

Enfin dans un des bras

Bras de l’ellipse d’étoiles

L’étoile est le soleil

 

Je dis

Je dis ici en quelques mots

Je dis de la vie à la mort

Je dis la vérité des torts

Je dis la douleur de nos maux

Je crie la liberté pour tous

Je crie le tableau embelli

Je crie les visages vieillis

Je crie la maladie qui tousse

Je lis les livres impaisibles

Je lis de la prose et du vent

Je lis les paroles vendues

Je prie des forces trop visibles

Je prie dans les secrets latents

Je prie l’humanité perdue

 

Entre jour et nuit

C’est entre jour et nuit qu’un regard s’est glissé

De la nuit le frimas pèse sur les paupières

Du jour restent les rêves, qui coulent en rivières

Et dans cet entre-deux, une voix policée

C’est entre nuit et jour qu’un bâillement surgit

Du jour il va rester les efforts répétés

De la nuit la promesse, des chats à câliner

Et dans cet intervalle, une voie qui rugit

Est-ce jour ou bien nuit ? Les aiguilles sont en panne

Du matin ou du soir ? Les yeux brillent ensemble

Aujourd’hui ou demain ? C’est la route qui crée

C’est le jour et la nuit, brouillés dans les arcanes

Ballotant dans la paume, les deux mains qui s’assemblent

Pour prier les icônes, même les moins sacrées

 

La maison

Parmi toutes, cette maison

Elle n’est ni laide ni belle

Dans un petit jardin modèle

Alors la mémoire en foison

Sur le sol elle forme un L

En son cœur, trois petites chambres

Où aucune ligne ne cambre

Dans le salon le temps se perle

Dans cette petite campagne

Fin de l’enfance et début d’homme

Il commençait beaucoup de doutes

On y but aussi du champagne

Dans ce pays de cidre et pommes

Et mon vélo volait les routes

 

L’arbre

Au pied de l’arbre tombe un fruit

Il a mille ans il vient de naître

En lui la graine, un nouvel être

Va dans nos heures, hors de tout bruit

L’arbre a tenu, hommes passés

Hommes pressés et disparus

Les branches poussent et sont tenues

Par un tronc fort parfois cassé

L’arbre a tout vu de nos faiblesses

Coups de couteau avec des cœurs

Qu’il soit grand chêne ou peuplier

De la forêt c’est la richesse

Et à son pied un banc de fleurs

Qui sait demain sera papier

 

La douleur

La tristesse est facile, quand on est en douleur

Les valeurs envolées ne font plus références

Quand on perd à moitié, on ne voit plus les chances

Qu’offrent d’autres possibles, les nouvelles valeurs

Les malheurs de la vie restent à tous cruels

Si l’on garde les flèches, là dans nos cœurs trop tendres

Toujours le sang séché ne fera que des cendres

Le vent emportera vers de nouveaux rituels

Avec des yeux ouverts, sans couleurs mortifères

Alors vient l’horizon dissipant les nuages

Certains y verront même, apparaître des dieux

Les amis seront là comme de simples frères

Avec eux s’écriront encore de belles pages

Non ce n’est pas la paix mais je n’ai rien de mieux

 

Les silences volés

Les silences volés nous portent des messages

Dans leurs soupirs un temps, un petit rien commence

Ils ont aussi le timbre, des rires de l’enfance

Parfois au front ils laissent, le début d’un outrage

Les silences voilés nous comptent des histoires

Même au travers des masques, les vagues sont perçues

Le flou nous dit des choses, où le calme est perclus

Dans des peurs enfantines, qui font rire en miroir

Il est des temps pour tout et d’abord pour se taire

La parole est d’argent mais pas dans les abus

Les mots donnés perdus sous les pieds sont foulés

Certains voudront courir, après des reliquaires

Si le silence est d’or, alors la paix afflue

Nos paroles gardées qui pourra les voler ?

 

Mots bavards

Dans le creux de nos mots, des mondes se dévoilent

Comme fleurs de bouquets, ils portent les couleurs

Des pensées ciselées et bien de quelques pleurs

Chacun est une touche, pour recouvrir la toile

Les mots sur le papier sont un à un choisis

Les mots dans les paroles, volent et caracolent

Certains nous vont au mille, d’autres nous rendent folles

Et nous laissent pantois, et nous laissent saisis

Les mots sont trop parlants au-delà des pensées

Quand ils en disent trop ils sont comme des flèches

Et reviennent en écho, en face du bavard

Les mots écrits sont marbres, qu’on ne peut retirer

C’est parfois en silence, qu’on découvre la brèche

Si le monde est né verbe, les hommes n’en sont avares

 

Et passe le passé

Les échos du passé sillonnent les lointains

Dans les rivages d’antan, méandres en neurones

Forment des aquarelles, une drôle de faune

Voguant en liberté ou cachée dans les coins

Un sillon dans la cire, traçant nos vérités

La mémoire d’hier est la carte du tendre

Bâtie en pyramide, qui gèle à pierre fendre

Dessine les contours de nos fraternités

Tant de vestes tournées, qui tournent en girouette

La pensée se construit sur des châteaux de sable

Et le faux est chaussé et le vrai est faussé

C’est dans le temps présent, l’ultime pirouette

Car dès demain ce jour sera une autre fable

De seconde en seconde, le présent est passé

 

Les cicatrices

Dans chaque cicatrice, une histoire gravée

Des vagues, des marées sont comme des vibrisses

Sur notre peau vrillée où les mémoires glissent

Pour revenir au temps des souvenirs gavés

Les balafres profondes sont rappels des combats

Des géants abattus lors de duels singuliers

Mais aussi les romances, en traces de colliers

Les marques de l’amour nous laissent quelques croix

Dans nos stigmates en chair, des histoires sacrées

Racontent les croyances, de nos brûlures en cœur

Qui sont aussi des leurres, repassés au lavis

Dans les blessures des vents, des histoires envolées

Nous parlent des silences, engendrés par la peur

Sur nos peaux le roman de toutes nos envies

 

Les rêves

Sur le chemin des rêves, la gorgone veillait

Pour ce trésor enfoui dans le creux de la chair

Où entrent les câlins donnés aux êtres chers

Noir et blanc ou couleurs, les images frayaient

C’est au petit matin que naissent les images

Dans les nuits agitées par le chaud et le froid

Et les yeux ensablés nous ne marchons pas droit

Au pays de Morphée apparaît le mirage

Et d’un réveil à l’autre, arrive le matin

Qui vient toujours trop tôt, même les draps froissés

Peut-être quelques chats pour baisser la tension

C’est le moment aussi où viennent les chagrins

D’un peu de temps perdu à chasser le passé

Qui est le cauchemar des fragments en fission

 

L’homme puzzle

Il est un homm’ puzzle, qui construit des histoires

Avec quelques baguettes, il montre le chemin

Écrit en lettres d’or sur sa peau de vaurien

Et loin des projecteurs, et loin des tristes gloires

Il est un homm’ lézard, caché dessous les pierres

Sa peau est une armure, protégeant des grands vents

De cuir et de métal, elle joue les paravents

Elle est étanche aux vœux et à tout prière

Il est un homm’ crapaud, séché au fond des trous

Glissant loin des regards des passants effrénés

Il protège le cœur de ce tout petit diable

Il est un homm’ sensible, naviguant chez les fous

Son derme est intérieur de sa vie aliénée

Le puzzle constitué de pièces désirables

 

Les abysses

Dans l’ombre des abysses, où nul ne peut voguer

En un pas seulement, on franchit la barrière

Et on verra alors, sans retour en arrière

Petits pas de côté et le corps est tangué

Il y a des limites, qui sont comme du feu

Si juste embrouillé noir, dans un instant fugace

Au-delà le désert où règnent les rapaces

Le voyage est gratuit même à ces gens de peu

Dans un compte à rebours, une minute en moins

Qui met fin au discours et à ces vains débats

Il n’y a que la peur dans le fond qui soit crainte

Et avant de sombrer dans un pays lointain

Faire le dernier pas et le dernier combat

Dans l’ultime vertige, qui a un goût d’absinthe

 

Consommateur

Piégé dans la consommation

Le petit homme est solitaire

Il assouvit toute passion

Et tous les soirs va prendre un verre

De soldes en soldes il est gagnant

À la lot’rie de ses envies

Dans les corners en se cognant

C’est à crédit qu’il est ravi

Dernier smartphone dans chaque poche

Amis virtuels dans les réseaux

La vie glaciale dans les poncifs

Et sur les sites de proche en proche

La carte bleue fond dans ces eaux

Le consommateur compulsif

 

Crépuscule

La danse d’ombres au crépuscule

Autour du grand feu des nuitées

Où le soleil à peine couché

Laisse des lumières funambules

C’est dans un ciel de rouge et d’or

Que les lutins sont réveillés

Avec les elfes ils vont veiller

Jusqu’au matin au son du cor

Ils sont heureux, ces êtres simples

Ils tournent et tournent, la danse folle

Qui les nourrit de tous ses fruits

Et pas besoin d’être à l’Olympe

Pour voir grandir les auréoles

Qui disparaissent dans la nuit

 

Pleine lune

Sous la lune les vents se taisent

Si elle est blanche, eux les témoins

De cet instant qui ne dit rien

Quand l’astre brille, que l’on se taise

Lorsqu’elle est pleine, la nuit étrange

Nous fait rêver dans la nuit claire

À des futurs où sont des chairs

Qui au réveil, tremblent et dérangent

Parfois le jour elle s’attarde

Souvent la belle est dans le flou

C’est un présage à nos espoirs

Parfois la nuit c’est une barde

Qui nous berce de ses sons doux

Dans quelques jours elle sera noire

 

En fin

Au dernier jour de notre vie

Ne resteront que souvenirs

Passés au tamis des soupirs

Tournant le dos à nos envies

Si l’on est fou alors en joie

Chaque minute sera des heures

Et de côté laissons les pleurs

Car nous ne sommes plus la proie

Et ce bonheur de tic et tac

On oubliera d’être peureux

C’est avec soi le face à face

Non pas besoin d’avoir le trac

Car ce sera un feu heureux

Et aux vivants laissons la trace

 

Espoir

Et si la fin n’est pas la fin

Il restera dans les mémoires

Le beau visage du nectar

De ces cahiers quelques refrains

Nous ne sommes que dans les autres

La petite fleur qui rira

Même au-delà du grand frimas

Nos souvenirs seront les vôtres

Si vous croyez alors chantez

Et dans vos voix un ton riant

Dans vos prières comme un pouvoir

Et si en rien vous ne croyez

Construisez-nous un lit brillant

Pour y étendre les espoirs

 

Les bulles

Autour de quelques bulles, les larmes tournent aux rires

En coupe ou bien en flûte, des joies il est le miel

Sa robe d’or pétille, d’un feu qui monte au ciel

Pour nous pauvre mortel, c’est le bel élixir

Car depuis la naissance, et puis de fête en fête

Notre bon compagnon nous emmène au soleil

Et sans comparaison il n’en est de pareil

Il calme les passions, les ardeurs et tempêtes

Avec lui trop facile, de devenir affable

Car même les taiseux vont tourner aux bavards

Et vous en boirez tous, gens des villes et campagnes

Il y a des sujets qui tournent à la fable

Dans les crépitements, jamais il est avare

C’est le roi de nos tables, il s’appelle Champagne

 

Avant

Hier était bien mieux, la vie était plus belle

Là tout était possible, et le chemin facile

Les hommes étaient plus beaux et les femmes graciles

Aujourd’hui nous marchons au milieu des poubelles

Ce discours est aisé sur bon temps d’avant

Et les trépignements ne font pas vérité

Car quel dans le fond l’objet tant regretté ?

Des images sépia en simple paravent

On me parle au passé de gens imaginaires

De la douceur de vivre, et du vin qui ruisselle

Et tout ce qu’on a vu qu’on ne pourra revoir

Et l’on me dit aussi qu’aujourd’hui c’est l’enfer

Même les jeunes filles ne sont plus des pucelles

Moi je dis que demain est le nouvel espoir

 

La chambre

Dans cette chambre calme, aucun enfant ne dort

Un rayon de soleil éclaire les tableaux

Les toiles d’araignées sont passées au plumeau

Les parents ont tenté, mais ils sont restés forts

Dans cette chambre blanche, où passent des soupirs

Les lumières des anges, traversent la fenêtre

Au-dessus du berceau, il n’y a de peut-être

Il n’y a rien à faire, cela contient le pire

Dans le coffre à jouets, le vide c’est installé

Beaucoup d’eau a coulé sur les plaies des passions

Il faudra oublier les douleurs qui ferraillent

Il n’y a plus de larmes, dans la longue vallée

Et aujourd’hui commence, la nouvelle gestion

Maintenant un bureau pour le télétravail

 

Questions

Pourquoi faut-il toujours aimer ?

Où sont passés tous les chapeaux ?

Pourquoi faut-il tous ces drapeaux ?

Comment savoir la vérité ?

Quand verrons-nous les gens heureux ?

Où découvrir des eaux limpides ?

Pourquoi tant de mots insipides ?

Et pourquoi pas des matins bleus ?

Comment dire oui à quelques plis ?

Pourquoi en dieu le verbe avoir ?

Et nous faut-il tant de passions ?

Comment des êtres accomplis ?

Pourquoi peu d’hommes trop de pouvoirs ?

Et tant et tant d’autres questions

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Jean-Luc Bonnet

Jean-Luc Bonnet (2)

Jean-Luc Bonnet est un ancien chercheur en sciences biomédicales. Il s’intéresse depuis des décennies aux cultures étrangères et en particulier à l’art japonais, dans toutes ses formes. Il écrit des haïkus, des koans et des tanka depuis de nombreuses années. Il a aussi écrit de précédents recueils de poèmes, dans des styles différents. Les présents textes sont une nouvelle étape dans sa recherche stylistique. Il a aussi écrit des polars sociaux.

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2 Commentaires
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Jean-Marie Audrain
Modérateur
25 juillet 2025 5 h 33 min

Merci pour ce recueil original.
A consommer à doses homéopathiques pour bien apprécier.

Plume de Poète
Administrateur
24 juillet 2025 12 h 57 min

Bienvenue Jean-Luc et merci pour cette belle introduction poétique.
Nous avons hâte de découvrir vos autres textes.
N’oubliez pas d’ajouter votre biographie ou présentation auteur ainsi que votre photo ou avatar représentatif depuis votre profil membre afin que les lecteurs, visiteurs et membres puissent mieux vous apprécier.
Bonne continuation et à bientôt.
Bien à vous,
Alain