Parapluies et canotiers – Philippe Dutailly

L’allure martiale, le pas lent, cadencé,

Ils marchent, endimanchés de noir,

Sur le pavé humide de la rue Beaumarchais.

La larme de circonstance au creux de la paupière,

La mine désespérée des grands jours de silence,

Ils suivent le cortège protocolaire

Vers la dernière demeure de leur ami défunt.

Le ciel gris étale son grand voile pluvieux.

Lui aussi avait rendez-vous en ce jour funèbre.

Une bruine fine et luisante arrose le corbillard

Fleuri de toute part aux couleurs mortuaires.

Madame est là !

La face cachée d’un foulard de soie noire

Comme pour mieux s’isoler des personnes qui l’entourent.

Elle signe, de la tête, leurs présences polies

Mais ne les distingue pas dans son chagrin profond

Car eux ne le connaissaient que par “ bonjour, bonsoir ”

Car eux ne savaient pas !!!

Alors, madame se saoule de son précieux passé.

Leurs années de jeunesse et leur premier bébé

Et lui si beau, si parfait dans l’amour,

Faisant, de son sourire, le soleil du jour.

Ses baisers enjôleurs qui la faisaient frémir

De frissons exaltés qu’on ne peut définir.

Madame pleure…….

Sa vie se désagrège à l’infini.

L’homme qu’elle chérissait part en terre aujourd’hui.

Des cris de joie s’élèvent d’une maison voisine.

Un couple s’y unit et embrasse le sort.

Le jeune homme est beau et la fille radieuse,

Dans sa robe immaculée, couleur de pureté.

Ils se caressent du regard et attendent le soir

Où s’ouvriront, pour eux, les portes enchantées

De l’amour partagé………..

Les invités plaisantent et rient avec éclat

Et chacun d’eux commente en des propos flatteurs :

“ Mon dieu, comme ils sont beaux !

Mon dieu, quelle élégance !”

Et le couple s’enlace tout près de la fenêtre

Comme pour montrer aux gens

La flamme de leur amour naissant.

Mais la rue est grise, pâle, silencieuse

Et les spectateurs de leur fougue amoureuse

Marchent, endimanchés de noir,

Sur le pavé humide de la rue Beaumarchais.

© Philippe Dutailly – 02 01 1976

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Philippe DUTAILLY

Philippe DUTAILLY (89)

Tombé amoureux de "L'albatros" de Charles Baudelaire, poème appris lorsque j'étais 'écolier et nourri au hasard de Victor Hugo, Georges Brassens, Léo Ferré, Lamartine et beaucoup d'autres, j'ai commencé à faire rimer les mots vers l'âge de 18 ans. D'abord très inspiré par Brassens, j'ai pris, au fil du temps, mon autonomie pour en venir à des textes plus intimes qui, pour certains, servirent d'exutoire à des émotions mal vécues.

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6 Commentaires
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Martyne Dubau
Membre
22 janvier 2022 17 h 46 min

ainsi est le cycle de la vie
pour certains elle commence dans le bonheur
pour d’autres elle finit sous une pluie de larmes …

Brahim Boumedien
Membre
19 janvier 2022 22 h 04 min

Merci pour ce partage sur la vie et le temps qui fuit !

Alain Salvador
Membre
19 janvier 2022 21 h 58 min

un bien joli écrit Philippe